Les Catalans exigent un vrai dialogue politique

Espagne • Le gouvernement de droite, à Madrid, a lancé ses forces de police contre le référendum en Catalogne. A Barcelone, les citoyens ont répondu avec détermination et dans le calme. Ils ne se retrouvent cependant pas tous dans le camp indépendantiste (par Thomas Lemahieu, paru dans L’Humanité).

Ce sont des petites foules de citoyens qui, devant chaque bureau de vote de la capitale catalane, se sont pressées pour voter ce dimanche. En début de matinée, dans la queue, le long de la Ronda de Sant Pau, dans le quartier El Raval, Joan regarde sur son téléphone les images des premières évacuations par la Guardia Civil envoyées par le gouvernement national. Le visage ensanglanté de cette dame âgée à Tarragone, ces urnes arrachées par des agents encagoulés dans un lycée, ces enfants qui pleurent, terrorisés, dans les bras de leur mère ou de leur père, un citoyen qui témoigne le tee-shirt déchiré…

«C’est vraiment écœurant, dénonce le jeune étudiant en histoire qui campait depuis vendredi dans une école pour empêcher toute intrusion policière. Ils attaquent des gens qui sont absolument pacifiques et qui veulent exercer leur droit démocratique de s’exprimer.» Les bureaux de vote sont ouverts depuis une demi-heure à peine – en fait, ils ne le sont même pas vraiment car les assesseurs ne parviennent pas à se connecter à la liste électronique des électeurs -, mais le Parti populaire (PP), cette droite dirigée par Mariano Rajoy au pouvoir à Madrid, a déjà perdu la guerre des images et des représentations.

Des citoyens massés devant les bureaux de vote
Alors qu’en milieu d’après-midi, le chiffre de 300 blessés lors de heurts provoqués par les forces de police espagnoles – les Mossos d’Esquadra catalans ayant été mis sur le banc de touche par le gouvernement PP – et surtout les images de la répression féroce circulaient, des milliers de citoyens continuaient de se masser autour des bureaux de vote, avec l’idée, pour beaucoup, de voter, puis de rejoindre une grande manifestation en début de soirée.

«A un problème politique, tu dois répondre par la politique, considère Andreu, un professeur de 51 ans, sympathisant communiste, devant le Centre de culture contemporaine de Barcelone. Tu ne peux pas dire, comme Mariano Rajoy le fait depuis six ans, que tu réponds par la justice, en suspendant les lois qui sont faites en Catalogne, ou par la police, comme c’est le cas depuis des semaines. Ils ont arrêté des fonctionnaires, ils ont mis les policiers catalans sous cloche, et aujourd’hui, ils essaient de piquer nos urnes et tabassent des électeurs. Et quand, à Madrid, ils se mettent à faire de la politique, ces derniers jours, c’est vraiment sinistre: il y a eu des manifs de soutien quand les membres de la Guardia Civil quittaient leurs cantonnements, avec des énergumènes qui les encourageaient à «casser la figure» aux Catalans, et samedi, on en a entendu chanter Cara al Sol, l’hymne franquiste, en faisant des saluts fascistes. Et à Barcelone, au même moment, d’autres ont essayé d’arracher la banderole au fronton de la mairie qui demandait plus de démocratie, c’est invraisemblable!»

Dans ce contexte, les partisans de l’indépendance tentent d’avancer leurs pions, mais à ce stade, pas sûr qu’ils aient gagné plus qu’une bataille symbolique. Non pas tant car Madrid s’étrangle, dénonçant par la voix de Soraya Saenz de Santamaria, la vice-présidente du gouvernement espagnol, un «moment anticonstitutionnel et antidémocratique» créé par une «Generalitat (gouvernement catalan, ndlr) au comportement totalement irresponsable» et justifiant, sans la moindre ironie, l’action «proportionnée et mesurée» de la police. Mais plutôt car le futur pour la Catalogne est loin d’être clair: à l’évidence, les conditions dans lesquelles le scrutin a été organisé et s’est déroulé sont très loin d’être satisfaisantes.

«Les patrons de Madrid valent ceux de Barcelone»
Psychologue et électrice de la petite formation anticapitaliste indépendantiste CUP – soutien de la coalition au pouvoir en Catalogne et solidaire d’un budget de rigueur élaboré par le président séparatiste catalan Puigdemont –, Silvia veut néanmoins croire à la séparation avec l’Espagne: «En défendant pendant plusieurs jours les bureaux de vote, en venant ensuite s’exprimer avec calme et détermination ce dimanche, la population a démontré qu’elle est attachée à défendre ses droits et à les exercer effectivement. C’est cette aspiration profonde du peuple catalan qui va nous permettre d’aller de l’avant!»

Juste à côté d’elle, Marco est bien plus circonspect. «Je viens voter, bien sûr, contre Rajoy, mais pas pour l’indépendance qui est dans l’intérêt des plus riches et qui, à tout le moins, leur permet de camoufler leurs intérêts. Je ne peux pas voter non, car c’est presque fasciste aujourd’hui, mais je m’abstiens… Alors, pour moi, derrière le folklore catalaniste, ce qui compte, c’est que les patrons de Madrid ou de Barcelone, ils ne sont pas si différents…»

Le désir de démocratie et le goût de la liberté
Ni avec Rajoy, ni avec les indépendantistes, mais avec le peuple catalan qui défend la démocratie… Telle est la ligne adoptée par la gauche catalane et espagnole. Elle a participé considérablement à la déclaration de Saragosse, qui défend une refondation de l’Espagne en tant qu’ Etat plurinational. Eurodéputé écologiste et membre de la coalition Catalunya en Comù qui rassemble les déclinaisons catalanes de Podemos, Gauche unie (Esquerra Unida i Alternativa en catalan) et d’autres formations indépendantistes, Ernest Urtasun décrit Rajoy comme un «pyromane incapable de donner une réponse politique à une crise gravissime».

Pour Ada Colau, la maire progressiste (En Comù) de Barcelone, Mariano Rajoy doit démissionner et il faut désormais ouvrir le champ démocratique aux autres options que la seule indépendance de la Catalogne. «Les citoyens ont répondu de manière massive, en réaffirmant leur désir de souveraineté et leur goût de la liberté, face à un gouvernement indigne qu’il faut maintenant chasser», appelle Xavier Domènech, le coordinateur du mouvement de convergence de gauche en Catalogne. Avec leur 1-O – le sobriquet du référendum en référence à la date du 1er octobre – les Catalans ont marqué un but pour la démocratie, mais au-delà, rien n’est encore joué.