«L’affaire Arni» ou le monde à l’envers

Neuchâtel • La démission d’Olivier Arni de la Société de navigation des lacs de Neuchâtel et Morat (LNM) est révélatrice de plusieurs dysfonctionnements et contradictions du système institutionnel.

Samedi 30 septembre 2017, le conseiller communal socialiste de la Ville de Neuchâtel, Olivier Arni, annonçait qu’il démissionnait de son poste avec effet au 31 décembre 2017. Cette déclaration constitue l’épilogue d’une «affaire» qui a éclaté au début de cet été. Pour mémoire, Olivier Arni, président du conseil d’administration de la Société de navigation des lacs de Neuchâtel et Morat (LNM) avait accordé, en été 2016, une augmentation de salaire rétroactive au désormais ancien directeur de la compagnie. Cette décision, prise sans l’approbation de personne d’autre, allouait un montant supplémentaire de 2’000 fancs par mois à Monsieur Jean-Jacques Wenger, ceci depuis l’été 2014, soit la bagatelle de50’000 francs pour la période concernée. Le document ratifiant cette décision avait par ailleurs été antidaté au 18 novembre 2015 et, pour rappel, Monsieur Wenger licencié en janvier 2017 en raison de gros problèmes de gestion révélés par un audit.

Plusieurs niveaux de lecture
Cette «affaire» appelle plusieurs niveaux de lecture. Tout d’abord, comment est-il envisageable qu’un président de conseil d’administration réunissant les représentants des cantons et communes desservis par la LNM, puisse décider unilatéralement et sans en référer à personne d’une telle augmentation de salaire, décision prise, de surcroît et selon les dires de l’intéressé, sur le coin d’une table de bistrot?

Depuis quelques années, des cas où des membres d’exécutifs de collectivités importantes se livrent à des agissements pour le moins controversés surgissent à intervalles réguliers (nous pensons aux affaires Monnard, Legrix ou Hainard). En d’autres termes, des élus, parce qu’ils sont élus par une majorité de votants – souvent réduite à la portion congrue vu les taux effrayants d’abstention aux scrutins – s’arrogent des pouvoirs qui dépassent largement leurs compétences initiales. Tout se passe comme si l’élection légitimait, à elle seule, la possibilité d’exercer une forme d’autorité de droit quasiment divin qui n’appelle plus que la sanction du scrutin suivant pour déterminer si «l’élu» mérite encore ou non la confiance du «peuple».

A un deuxième niveau de lecture, «l’affaire» pose la question du rôle social du «scandale» politique ou public et de l’efficacité du système démocratique bourgeois pour assurer sa propre auto conservation. A chaque «événement» de ce genre, les médias dominants prennent les armes, dévoilent, dénoncent, désignent et, «l’opinion publique», ainsi «informée», se scandalise à son tour. Les feux des projecteurs se braquent sur le «responsable», ici Olivier Arni et, ce déroulement théâtral aboutit souvent à la démission du personnage incriminé, comme point final à la pièce qui vient de se jouer.

Largesses versus austérité
Outre la personnification de la responsabilité, il est intéressant de remarquer que l’épilogue d’auto exclusion (la démission) signe également la fin du drame. Tout retombe ensuite comme un soufflé, sans que personne ne pense à s’interroger sur les conditions réunies pour que «l’affaire» ait pu avoir lieu. L’institution est sauve, c’est la personne seule qui a fauté! La personne est morte, vive l’institution! Le «scandale» n’a-t-il pas, in fine, la fonction d’assurer la survie d’un système en crise en proclamant: «Je suis sain, seuls certains de mes serviteurs sont malades»?

Neuchâtel en tant que canton, l’Helvétie entière est au courant, vit une situation financière préoccupante. Malgré les dénégations répétées des thuriféraires de la réforme fiscale, cette situation a bel et bien été causée par la baisse du taux d’imposition sur le bénéfice des entreprises qui est passé, en quelques années, de 22% à 15% et celui sur le capital à 0.005% devenant ainsi le plus bas de Suisse. Ceci, faut-il le rappeler, par la grâce des si mal nommés socialistes. Depuis lors, le canton est soumis à une austérité budgétaire qui gagne en férocité chaque année. Les bénéficiaires de l’aide sociale sont, tout particulièrement, devenus la cible privilégiée de la politique antisociale du canton, voyant leurs prestations baisser au fil des mois et leur minimum d’existence réduit de manière dramatique.

Dans le cas de figure qui nous occupe, nous avons par conséquent d’un côté l’octroi de largesses salariales inconnues de la plupart des travailleurs et, de l’autre, la chasse à la dépense visant à assurer la survie des plus pauvres. Quel plus bel exemple du monde à l’envers qu’est le capitalisme nous est-il offert, in vivo et à l’échelle locale, que celui de «l’affaire Arni»?