La mort d’un musicien, d’un maître, d’un témoin engagé

Musique • «Je veux être une sentinelle qui veille», affirmait le compositeur bernois Klaus Huber qui vient de s’éteindre à 92 ans. Toute son œuvre reflète son credo qui est de foi, de contestation et d’espoir.

Même si son nom, qui s’est imposé à l’étranger avant d’être reconnu dans son pays, n’a pas acquis la notoriété des têtes de file d’une certaine avant-garde, Klaus Huber n’en appartient pas moins aux figures les plus attachantes et les plus marquantes de la musique contemporaine, tant par ses œuvres que par son enseignement. Brian Ferneyhough qui fut son élève, comme du reste Wolfgang Rihm, Michael Jarrell, Toshio Hosokawa et tant d’autres, parle d’un art humaniste qui allie «la loyauté vis-à-vis des traditionnelles exigences techniques du métier, une introversion profonde et naturelle de l’expression, un contrôle du temps musical incomparable et cette demande constante faite à la musique d’être un véhicule visionnaire d’idéaux hautement éthiques».

A l’occasion des 90 ans du compositeur, Heinz Holliger écrivait ce très bel hommage: «Je ne peux pas imaginer ma vie sans ces 55 ans d’amitié avec Klaus Huber, faisant leurs preuves dans le vent et la tempête. Sa musique si unique et merveilleuse a été et est toujours une étoile fixe qui brille dans mon ciel musical». Leur démarche compositionnelle fut certes différente, mais la musique de l’un et de l’autre est marquée par une dimension humaine et spirituelle responsable, libre et exigeante. Tant pour son anniversaire à Lucerne, qu’à la Société de musique contemporaine à Lausanne, Klaus Huber était présent, fidèle à lui-même, port droit, profil aquilin, cheveux blancs encadrant le visage, le regard vif, avec quelque chose tout à la fois de hiératique et de chaleureux.

Un remarquable pédagogue
Mort ce 2 octobre, Klaus Huber était né le 30 novembre 1924 à Berne; il avait pour parrain le compositeur Willy Burkhard, qui sera son professeur plus tard au conservatoire de Zurich. Il étudie le violon avec Stefi Geyer, à qui Bartok avait dédié son premier concerto. Pourtant, Klaus Huber ne se décide pas pour une carrière musicale, mais devient instituteur. Il entre cependant en 1947 au conservatoire, puis ira travailler avec Boris Blacher à Berlin.

Remarquable pédagogue, Klaus Huber enseignera d’abord à l’Académie de musique de Bâle et dès 1973 à Fribourg-en-Brigau. A l’instar d’un Messiaen ou d’un Boulez, il donnera à ses disciples la chance d’être eux-mêmes. Ainsi le Japonais Toshio Hosokawa avoue que c’est Klaus Huber qui l’a renvoyé à ses origines et incité à redécouvrir la musique traditionnelle de son pays. S’il discutait volontiers des arcanes de la création, Klaus Huber ajoutait néanmoins:«Il faut parler de ce qu’on peut dire et taire ce dont on ne peut parler, la recherche de quelque chose qui est encore caché. C’est l’énigme de tout art. Derrière chaque pas du faire, il y a des sentiments; la musique doit intégrer des émotions». En effet, quels que soient ses propos sur ce qu’on peut appeler son credo, le moyen d’expression de Klaus Huber, c’était d’abord la musique, cette «particule de lumière», qu’il n’hésitait pas à qualifier d’existentiellement nécessaire.

La musique, miroir de la réalité et messagère d’espoir
Klaus Huber est donc d’abord compositeur. Passionné par l’art du Moyen Age, ainsi que par les cultures sud-américaines et arabes, il s’inspire de toutes les richesses musicales, de pratiques et d’instruments souvent délaissés: «J’aime rechercher dans le passé ce qu’on a oublié»; il y puise les éléments de son écriture raffinée laquelle fera de sa musique à la fois acte de résistance, de solidarité, de révolte, de méditation intérieure et, envers et contre tout, de porteur d’espoir.

Elle paraît souvent se dérouler hors du temps, avec de brusques accents de violence et de fureur. Si ses premières œuvres sont empreintes de mysticisme et d’une recherche de la beauté, les événements et les mouvements contestataires vont marquer ses compositions dès les années 60 et 70; il écrira dès lors «au nom des opprimés», en particulier en 1980, un oratorio Humiliés-Asservis- Abandonnés-Méprisés sur des textes provenant de prisons, de bidonvilles sud-américains et de Ernesto Cardenal, tenant de la théologie de la libération.

Nombre de ses œuvres empruntent aux écrits d’auteurs anciens ou modernes. Klaus Huber en effet a toujours voulu «transformer l’œuvre d’art contemporaine en un témoignage. C’est ainsi que l’art acquiert une fonction de miroir: il reflète les multiples facettes de la réalité (…) Mais le miroir révèle aussi des possibles, une utopie concrète. Car ce n’est qu’en transformant le présent qu’on peut influer sur l’avenir (…) l’art en tant qu’impossible qui indique le possible concret». Humaniste et chrétien, il parlera de sa musique comme d’une «musique de credo». Une de ses dernières œuvres a pour titre Vers La Raison du Cœur, en référence à un texte de Jacques Derida. «Le cœur est du côté de la vie. La raison du cœur, c’est l’amour», dit-il!