On peut tous tomber dans la pauvreté

Suisse • A la veille de la Journée internationale du refus de la misère du 17 octobre, Alain Bolle, président de l’association Suisse des Centre sociaux protestants (CSP) et directeur du CSP Genève, dresse un tableau de la pauvreté en Suisse et évoque les moyens de l’éradiquer.

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Voir également notre article « Menace de dumping dans l’aide sociale« 

Où en est-on de la situation de la pauvreté en Suisse?
Alain Bolle Selon les chiffres 2015 de l’Office fédéral de la statistique, 7% de la population résidente permanente se trouve en risque de pauvreté en Suisse. Avec une augmentation de 0,4% par rapport à 2014, la situation est donc stable. Les personnes les plus touchées sont celles qui ont plus de 65 ans et les familles monoparentales.

Dans le canton de Genève, le premier rapport sur la pauvreté publié par le Conseil d’Etat en août 2016 montre que 18,7 % de la population genevoise court ce risque de pauvreté. Cela signifie qu’en 2015, 49’929 personnes étaient concernées. Les enfants, les porteurs de permis B, les jeunes adultes de moins de 25 ans et les réfugiés ne figurent pas dans ce décompte. Le seuil de pauvreté se situe à 37’105 francs, soit 3’092 francs par mois, pour un ménage d’une personne seule. Ce seuil s’élève à 4’638 francs par mois pour un couple marié sans enfants et à 5’565 CHF par mois pour un couple marié avec un enfant. Ces salaires sont insuffisants pour pallier un problème qui surgit, tels qu’un accident, une perte d’emploi, une séparation ou une maladie grave.

Dans le canton de Vaud, le Rapport social 2017 montre que 27,7% des ménages de ce canton ne peuvent pas épargner et que 30% d’entre eux ne peuvent pas anticiper une dépense imprévue. Ces chiffres n’existent pas pour le canton de Genève.

Quelles sont vos propositions pour réduire cette pauvreté?
L’impact des primes d’assurance maladie par rapport au revenu disponible reste très important pour les ménages. Encore plus quand les subsides maladie ne suivent pas. Nous proposons donc de limiter la hausse des primes d’assurance maladie pour les enfants et de renoncer à toute hausse tant que les jeunes adultes sont en formation entre 18 et 25 ans. Cette dernière proposition est à l’étude au Conseil fédéral. Nous demandons également une modification de la Loi sur l’assurance maladie (LAMal) pour que les jeunes ayant atteint leur majorité ne puissent être poursuivis par la caisse maladie pour des montants dus alors qu’ils étaient mineurs.

Face aux risques d’une spirale d’endettement, nous souhaiterions aussi que les impôts courants soient intégrés dans le calcul du minimum vital. Certaines personnes subissent en effet des saisies sur salaire alors qu’elles sont au minimum vital, ce qui rend difficile d’assurer le paiement des impôts cantonaux et les entraîne dans une accumulation des dettes.

Le nombre de chômeurs en fin de droit est en croissance. En 2016, il était de 40’000, contre 19’908 en 2008. Certains sont hors aide sociale. Avez-vous constaté au CSP une augmentation de ce phénomène?
Les personnes qui ont plus de 4’000 francs de fortune doivent l’épuiser pour avoir accès aux prestations de l’aide sociale. En fin de droit, leur épargne est vite dépensée. D’autres ne recourent pas à l’aide sociale pour d’autres raisons. Celles qui ont un permis B craignent par exemple que leur statut soit remis en cause. Certaines personnes le font aussi par choix ou parce qu’elles bénéficient de la solidarité familiale. Mais on n’a pas de chiffres précis à ce sujet.

Un colloque sur la pauvreté se tenait la semaine dernière à l’Université de Lausanne. Un des ateliers analysait l’engagement de l’économie privée pour réduire la pauvreté. Les entreprises en font-elles assez?
On parle beaucoup de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), mais certaines d’entre elles ne sont pas engagées. J’ai été particulièrement touché par le licenciement récent de deux collaborateurs âgés de l’entreprise de construction Belloni, à Genève, qui ont été remplacés par des personnes avec des contrats précaires. Le secteur de la construction est confronté à une concurrence féroce pour obtenir des parts de marché. C’est aussi un secteur où la sous-traitance est une pratique connue. Certaines entreprises soumissionnent à des tarifs très bas, mais cette sous-enchère est finalement toujours endossée par les sous-traitants.

En 2016, la Confédération a organisé une conférence nationale sur la pauvreté. En quoi ces rendez-vous sont utiles?

J’ai un regard critique sur cette démarche. La Confédération s’intéresse au sujet, mais elle n’alloue qu’un petit budget (6,4 millions sur cinq ans) pour son programme de mise en œuvre et renvoie partiellement la responsabilité de la lutte contre la pauvreté aux cantons et communes. Je ne suis pas sûr que ces grands raouts, qui se penchent sur l’aspect macroéconomique et métacognitif de la pauvreté, soient d’une grande utilité.

Il en va de même à Genève. Le canton a publié un rapport sur la pauvreté en 2016, mais ne proposait pas de mesures et projetait de refaire un rapport… en 2020. Face à de nombreuses critiques, les entités communales et les associations ont finalement été consultées. Reste à savoir si le Conseil d’Etat validera nos demandes d’engagements en termes de formation, de logement et d’intégration.

La Journée internationale du refus de la misère aura lieu le 17 octobre. En quoi est-elle importante?
Cette journée est importante parce qu’elle donne la parole aux personnes concernées. Généralement, celle-ci est donnée aux experts du domaine par les journalistes, mais rarement aux personnes en situation de pauvreté. Avec le collectif du 17 octobre qui organise les différentes manifestations de la journée genevoise, nous voulons rappeler que tout le monde peut tomber dans la pauvreté, et même très rapidement.

Quels risques politiques sont induits par l’accroissement de la pauvreté?
La classe moyenne inférieure, se situant au-dessus des barèmes d’aide, est discrète. Mais elle s’interroge sur les améliorations que pourraient lui apporter les autorités. Sans réponse et avec l’impression de ne pas être écoutée, elle pourrait être tentée de chercher des boucs émissaires. À Genève, elle pourrait se retourner contre les frontaliers ou les pendulaires. La question de fond reste de savoir comment améliorer la cohésion sociale. La nouvelle loi genevoise relative à la cohésion sociale en milieu urbain est une coquille vide. Quand une partie de la population ne se sent pas comprise, elle peut réagir violemment par le vote ou par des mobilisations.

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Le 17 octobre, une journée particulière

La journée mondiale du refus de la misère, qui marque cette année ses 30 ans, est née en 1987 d’une initiative du père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD Quart monde. Cette année, le collectif 17 octobre organise à Genève différents événements dont un «parlement des inaudibles», le 14 octobre, qui veut «faire entendre la voix de celles et ceux que l’on n’entend pas, ou repousse aux marges de la société». A Neuchâtel, l’association de défense des chômeurs, soutenue par Caritas et le CSP, organise le 17 octobre une «soupe au caillou». Un repas gratuit sera suivi d’une discussion et de la rédaction d’une lettre ouverte pour dénoncer les difficultés des mal-logés. A Renens, un événement aura lieu le même jour sur la place du marché.

Plus d’informations sur: www.quart-monde.ch/projets/action-publique-et-politique/17octobre/