Des pistes pour un monde sans agrochimie

Agriculture • Alors que la question agricole est toujours plus débattue en Suisse et dans le monde, deux ouvrages publiés récemment nous aident à mieux en saisir les enjeux.

Des débats importants sur l’agriculture ont lieu actuellement en Suisse. Après la votation sur la «sécurité alimentaire», trois initiatives liées à l’agriculture ont déjà abouti et seront probablement soumises au vote populaire l’année prochaine: l’initiative pour la souveraineté alimentaire, celles pour des aliments équitables et celle pour la dignité des animaux de rente agricoles («vaches à cornes»). Deux autres initiatives voulant interdire ou limiter les pesticides sont quant à elles dans la phase de récolte de signatures: l’initiative pour une Suisse libre de pesticides de synthèse et l’initiative pour une eau potable propre et une alimentation saine – pas de subvention pour l’utilisation de pesticides et l’utilisation d’antibiotiques à titre prophylactique.

Sans entrer dans les détails, remarquons que ces propositions posent toutes d’une manière ou d’une autre la question du modèle d’agriculture que nous voulons développer dans le futur: le modèle agro-industriel dominant aujourd’hui ou un/des modèle-s alternatif-s, démocratique-s et agroécologique-s? La lecture de deux ouvrages parus récemment permet d’aborder cette question dans une perspective globale et de développer des outils d’analyse qui permettront de mieux appréhender les enjeux liés aux différents projets bientôt en votation.

Monsanto: emblème de l’agro-industrie
La publication d’Écocide: les multinationales inculpées par le Forum Civique Européen (FCE) fait suite au Tribunal international citoyen sur Monsanto, organisé à La Haye du 16 au 18 octobre 2016, et à ses conclusions rendues par les juges au printemps 2017 (voir l’article de Gauchebdo «Monsanto sous l’œil de la société civile» du 18 mai 2017). Cet ouvrage d’une centaine de pages comporte deux parties. La première est dédiée au Tribunal Monsanto, à ses motivations, à la manière dont il s’est déroulé et aux conclusions des juges. Pour rappel, ces derniers ont accusé la multinationale emblème de l’agro-industrie «d’atteinte au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, d’atteinte au droit à l’alimentation, au droit au meilleur état de santé, à la liberté de la recherche scientifique et la jugent coupable de crime d’écocide.» Dans le livre comme lors du Tribunal, une place importante a été accordée aux témoignages des victimes de Monsanto venant des quatre coins de la planète, une manière pour elles de «sortir d’une solitude énorme», selon les termes de la journaliste Marie-Monique Robin, marraine du Tribunal.

La deuxième partie du livre présente quant à elle des pistes pour construire un monde sans multinationales agrochimiques. Hans R. Herren – connu pour avoir démontré que des cultures traditionnelles peuvent avoir à long terme des rendements globalement plus élevés que les cultures OGM actuelles – est convaincu que «l’agriculture industrielle et conventionnelle est réductrice non seulement parce qu’elle vise un profit maximum, mais également parce qu’elle est fondée sur l’uniformisation. Partout, le même modèle standard fait loi: monocultures et élevages intensifs dominent aujourd’hui les paysages agraires de toute la planète.» A ce modèle – responsable d’au moins un tiers des émissions de gaz à effet de serre dues à l’activité humaine -, il oppose «l’approche agroécologique de la diversité», qui insiste non seulement sur l’importance de la biodiversité au sein d’une exploitation mais aussi sur la diversité des systèmes de culture. Ainsi, les modèles et les méthodes agricoles doivent être adaptés et développés en fonction du contexte local.

Dans cette partie de l’ouvrage, Raymond Gétaz, de la Coopérative Longo Maï, défend résolument le concept de souveraineté alimentaire, c’est-à-dire «le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée ainsi que le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires sans le faire au détriment d’une autre région». En effet, face à un marché mondial des semences et des pesticides dominé par trois géants (Dow-Dupont, Bayer-Monsanto et ChemChina-Syngenta) qui exercent des pressions inimaginables sur les pouvoirs publics, la question de la souveraineté, et donc de la démocratie dans la production agricole est aujourd’hui centrale.

La question de la souveraineté au centre des débats
Dans son texte «La souveraineté au service des peuples», publié dans le dernier livre du Centre Europe – Tiers Monde (CETIM), le chercheur et militant Samir Amin remet justement au centre du débat la question de la souveraineté, une idée qui fait selon lui l’objet de graves malentendus. L’auteur clarifie les choses en opposant le concept de projet populaire souverain à celui de projet nationaliste bourgeois. Si ce dernier est «l’instrument permettant aux classes dirigeantes de maintenir leurs positions compétitives au sein du système mondial», la souveraineté populaire est en revanche décisive pour la défense d’une alternative à la mondialisation néolibérale. La gauche devrait se réapproprier ce concept et défendre une souveraineté nationale qui soit populaire, anti-impérialiste et internationaliste. Pour Samir Amin, le principal enjeu de cette «question nationale» est la question agraire. C’est l’objet du deuxième texte publié dans ce livre, «L’agriculture paysanne, la voie de l’avenir!», dans lequel l’auteur démontre que la reproduction du modèle de développement agricole de l’Europe et des Etats-Unis est vouée à l’échec dans les pays du Sud.

Pour lui, «la rénovation de l’économie paysanne s’impose, non seulement pour les pays du Sud, dont les paysanneries constituent une composante importante de la population, mais également pour les pays capitalistes développés», où «l’agriculture familiale capitaliste moderne est prise en tenailles par le grand capital des monopoles financiers». Il appelle à refuser «de traiter la production agricole et alimentaire et le sol comme des marchandises ordinaires» et de ce fait à rejeter l’agenda de l’OMC «qui menace tout simplement de ruiner plus de deux milliards et demi de paysans».

Ces deux textes relativement courts (moins de 100 pages au total) mais très denses exposent des concepts et des perspectives qui ne peuvent qu’enrichir les analyses et les propositions de la gauche suisse sur la question agricole.

***

Forum Civique Européen, «Écocide: les multinationales inculpées», 2017. Peut être commandé auprès du FCE au prix de Fr. 15.- ou au prix solidaire de Fr. 50.-, ch@forumcivique.org
Samir Amin, «La souveraineté au service des peuples suivi de L’agriculture paysanne, la voie de l’avenir!», Publicetim. Peut être commandé auprès du CETIM au prix de Fr. 11.-, contact@cetim.ch