«Le chômage est sous-évalué»

Luttes • L’association de défense des chômeurs (ADC) genevoise fête ses 40 ans. Partageant ses activités entre consultations individuelles et actions collectives, elle est aux premières loges pour observer le démantèlement des conditions de travail et du droit au chômage.

L’association de défense des chômeurs s’est récemment mobilisée à Berne contre la volonté du canton de réduire l’aide sociale.

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Marc-Antoine Founier est membre du comité de l’ADC, Alexandre Baljozovic est son coordinateur. Nous nous sommes entretenus avec eux sur les activités de l’association depuis sa fondation.

L’ADC est née en 1977. Pourquoi et comment a-t-elle alors été créée?
Marc-Antoine Fournier En 1975, deux syndicalistes au chômage ont fondé avec Gérald Crettenand, de la Confédération romande du travail, un comité de chômeurs au sein de la Fédération genevoise des syndicats chrétiens. A cette époque, Genève dénombrait 607 chômeurs et il y en avait 6527 au niveau suisse. Ces chiffres ne prenaient toutefois pas en compte le chômage partiel et les immigrés renvoyés chez eux. Par ailleurs, les chômeurs étaient déjà stigmatisés. En 1977, le comité s’est constitué en association.

En 40 ans, quelles ont été les luttes principales de l’ADC? Quelles victoires?

M.-A. F. Durant ses 10 premières années d’existence, l’ADC a mené nombre d’actions et a progressivement été reconnue comme porte-parole des chômeurs auprès du Conseil d’Etat. Dans les années 80, l’association s’est par exemple mobilisée sur la question des indemnités des chômeurs en cas de maladie ou d’accident. Nous avons obtenu que ce droit passe de 34 jours à 2 ans. Cela a été une grande victoire. Genève était le premier canton à mettre en place une telle amélioration. D’autres actions de ce type ont été menées avec succès.

Quelles évolutions marquantes observez-vous par rapport à la question du chômage?
M.-A. F. Il a rapidement et fortement augmenté. En 1983, il y avait déjà 14’000 chômeurs à Genève contre 607 en 1975. Aujourd’hui, il y en a 13’000, mais il ne s’agit que des chômeurs inscrits. Ce chiffre ne prend pas en compte les personnes en recherche d’emploi qui n’ont pas droit au chômage. Et l’avenir ne s’annonce pas meilleur: récemment le directeur de l’UBS a annoncé qu’il pourrait se passer de 30% de son personnel à l’avenir. La robotisation pourrait aussi voir disparaître nombre d’emplois. En parallèle, on assiste à une généralisation des contrats précaires qui remplacent les CDI. Les récents cas de licenciements de travailleurs âgés de la construction pour les remplacer par des intérimaires, dénoncés par UNIA, illustrent cela.

Alexandre Baljozovic Au cours des 20 dernières années, sous couvert d’économies, les révisions successives des lois fédérale et cantonale en matière de chômage ont progressivement restreint les conditions d’accès à l’assurance et réduit la durée des indemnités. Avec la déréglementation et précarisation parallèle du travail, les personnes en sous-emploi sont de plus en plus poussées hors de l’assurance chômage. On estime qu’un tiers des travailleurs ayant besoin de l’assurance-chômage n’arrive pas à réunir les critères pour y avoir droit.

L’idée d’un taux de chômage bas en Suisse est donc fausse?
M.-A. F. On dit qu’il y a 3% de chômage en Suisse mais si l’on prend les critères de calcul du BIT, on arrive déjà à un taux près d’une fois et demie plus élevé. Outre les personnes en sous-emploi sans droit au chômage, il y a les jeunes en stage non payé dans les organisations internationales, ceux qui ne demandent pas le chômage par peur ou honte, les plus de 50 ans qui vivent de leur fortune, les jeunes sans travail ni formation, les personnes à l’aide sociale, etc. Tous ces gens n’entrent pas dans les statistiques chômage. N’oublions pas que selon l’OFS, il y a 600’000 personnes pauvres en Suisse, soit 7,2% de la population.

A quel type de problématique votre association est le plus souvent confrontée?
A. B. Sur les plus de 2’000 personnes qui nous consultent chaque année, la plus grande partie se situe dans cette zone flottante des travailleurs précaires qui font des allers-retours emploi-chômage-aide sociale. On passe très vite de l’un à l’autre. Il s’agit de travailleurs intérimaires et sur appel, en sous-emploi, ou travaillant dans l’économie souterraine (faux-indépendants ou au noir). Et il ne faut pas croire que ce processus ne concerne que des personnes peu qualifiées. Parmi nos consultants, 38% des personnes ont un CFC et 24% une formation de Haute école-Université.

Qu’est-ce que l’organisation collective apporte en plus de l’aide individuelle?
A. B. Nos membres réalisent qu’ils ne sont pas seuls dans leur situation mais qu’ils sont partie d’un problème social et structurel qui les dépasse. Cela permet de les sortir de l’isolement et de la culpabilité.

M.-A. F. Il peut être difficile de motiver certaines personnes qui sont très touchées par leur situation individuelle. Certains ont aussi peur de se mobiliser. Mais nous avons tout de même réalisé nombre d’actions collectives. Nous nous faisons aussi porte-paroles des chômeurs auprès des politiques, par exemple au Grand Conseil.

A. B. Ces trois dernières années, nous avons notamment organisé des actions contre des employeurs qui se servent de la pression du chômage pour casser les conditions de travail, nous nous sommes mobilisés contre les abus des dispositifs de «stages» pour chômeurs, qui sont devenus une forme de travail forcé et gratuit, contre les tracasseries imposées aux chômeurs, ou encore contre la baisse de l’aide sociale, mobilisation qui a fait partiellement reculer le Conseil d’Etat.

La question du chômage est-elle suffisamment abordée par les pouvoirs publics? Avec des réponses satisfaisantes?
M.-A. F. Le chômage est dans tous les discours à Genève, mais est-ce parce que nous sommes en période électorale? Au niveau européen, on parle aussi de mieux réglementer la question des travailleurs détachés. La question de la digitalisation est aussi très présente. Mais les solutions proposées ne sont pas toujours adaptées. A Genève, les chômeurs sont par exemple obligés à faire 10 recherches d’emploi par mois sans considération de leur profil spécifique. Une personne de plus de 55 ans se retrouve à faire des tas de recherches sans aucune chance de succès. Si ce type de vexation continue, il pourrait y avoir des réactions violentes.

Quelles solutions défendez-vous?

M.-A. F. D’une façon générale, il s’agit de mieux répartir les richesses. Il y a nombre de milliardaires en Suisse, ou encore, on songe à payer 9 milliards pour des avions alors qu’il y a 600’000 pauvres! Il y a des choix à faire au niveau des politiques budgétaires. Un effort important devrait notamment porter sur la formation. Il faut revoir aussi les moyens et les stratégies dans l’ensemble du secteur de la réinsertion des chômeurs.

A. B. Les solutions passent aussi par le combat pour un emploi et un revenu décents pour chacun-e. Au niveau cantonal, nous nous battons par exemple pour la régularisation des 1’500 postes occupés par des sans-emploi en travail forcé et gratuit. Au niveau national, en collaboration avec 8 associations similaires, nous nous mobilisons pour l’interdiction du contrat à zéro heure de travail (travail sur appel), une des formes les plus caricaturales de la précarisation du travail et de la vie, qui de surcroît met les personnes hors du cadre de la protection sociale par l’assurance-chômage.

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40 ans de l’ADC, le 28 octobre au Bateau Genève
18h30 : «Chômage, tabous et préjugés», pièce de théâtre sur la situation des demandeurs d’emploi
20h : «Quelle politique pour l’emploi?» Conférence avec Jean-Michel Bonvin, docteur en sociologie et Noël Constant, fondateur de l’association Carrefour-Rue.