Colette Magny, une chanteuse politique

Musique • Les éditions musicales EPM publient une anthologie de Colette Magny. L’occasion de découvrir ou redécouvrir cette chanteuse française qui s’est faite la porte-voix de nombreuses luttes. Elle laisse notamment un témoignage saisissant des événements de mai 68.

«Dans la famille coup de poing, Ferré c’est le père, Ribeiro la fille, Lavilliers le fils. Et moi la mère!», disait Colette Magny.

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Colette Magny nous a quittés il y a vingt ans. S’il y a eu de nombreuses publications autour des vingt ans de la disparition de Barbara, (films, disques hommage, spectacles, livres, etc.) cela n’a pas été le cas pour Colette Magny. Ce sont les éditions musicales EPM qui publient, en ce début novembre, une superbe anthologie: Colette Magny, De Melocoton à Kevork. Deux autres albums, Colette Magny 91 Melocoton et Colette Magny – Mai 68, figuraient déjà au catalogue de cette maison de disques orientée chanson française. Ce triple album se situe à des lieues des «Best Of» et autres «50 meilleures chansons de…». Il faut saluer ici un authentique travail éditorial qui offre la possibilité de découvrir ou redécouvrir cette très grande artiste au travers de plusieurs de ces œuvres marquantes. Une deuxième anthologie consacrée à ses mises en musique et interprétations de textes dont elle n’est pas l’auteure est par ailleurs annoncée chez le même éditeur. «Dans la famille coup de poing, Ferré c’est le père, Ribeiro la fille, Lavilliers le fils. Et moi la mère!», disait Colette Magny.

Tout lâcher à 36 ans
Celle qui fut secrétaire bilingue à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pendant dix-sept ans décide, à trente-six ans, de tout lâcher pour se consacrer à la chanson. Elle se fait connaître du grand public en 1963 avec l’émission de télévision Le petit conservatoire, animée par Mireille. Elle y interprète «Saint James Infirmary», une chanson du répertoire blues et sa chanson en français «Melocoton». Cette prestation lui ouvre grandes les portes de la maison de disques CBS. Son premier 45 tours est immédiatement classé au hit-parade de Salut les copains (émission radiophonique de variété créée en 1959 sur Europe 1).

Ce succès aurait pu faire d’elle «la chanteuse de blues française». L’admiration et le profond respect que Colette Magny a pour les chanteuses de blues l’amène à refuser cette étiquette. Elle précise également que si elle a quitté son emploi de secrétaire, ce n’est pas pour se faire enfermer dans de nouveaux carcans. Pendant longtemps, elle refuse même d’interpréter «Melocoton» dans ses concerts. Ce n’est qu’en 1982, lorsqu’elle finit par enregistrer son album Blues, qu’elle livre une nouvelle interprétation de cette chanson. Pour ce disque elle travaille sa voix jusqu’à obtenir le résultat qu’elle juge à la hauteur des chansons. «Melocoton» figurera encore sur son ultime album: Inédits 91.

Colette Magny se revendique chanteuse politique plus que chanteuse engagée. Elle explique que son engagement lui vient d’un soir de 1956 où elle assista à l’attaque d’un meeting sur la Guerre d’Algérie par des activistes d’extrême droite, sous l’œil complaisant de la police. Le lendemain, elle ne trouve pas une seule ligne dans les journaux. A partir de là, elle décide de lire tous les jours les journaux pour se tenir informée et forger son opinion.

«J’ai envie d’ouvrir ma gueule et beugler»
Son virage vers des «chansons chroniques» et son refus de faire des concessions font que CBS ne veut plus de cette «chanteuse communiste» qui ose, en 1963 chanter «Viva cuba» et «Choisis ton opium». Elle enregistrera donc au Chant du monde, une maison de disques proche du parti communiste. Elle deviendra par la suite sa propre productrice avec la constitution de l’association Production Colette Magny Promotion. Cette exploratrice des territoires du jazz et des expérimentations textuelles place l’intégrité et la sincérité au premier plan de son travail. Son approche journalistique du monde et de la politique transparaît dans la plupart de ses chansons. Elle se fait porte-voix des luttes et réalise notamment, en 1968, un album «collage», qui est l’un des témoignages les plus saisissants sur les événements de mai.

De Melocoton à Kevork ouvre sur «Blues ras la trompe», une chanson de 1975 qui exprime sa colère face aux «marchands de vérité» de l’extrême gauche qui s’attaquent à elle. Elle, elle n’a pas de vérité à vendre. Elle chante en état d’urgence. «Je chante car j’en ai besoin, j’ai envie d’ouvrir ma gueule et beugler». Ce premier disque propose ensuite sept chansons extraites de son ultime album Inédit 91, dont naturellement son ultime version de «Melocoton». Le voyage musical nous emmène ensuite du côté de Frappe ton Cœur, son premier album au Chant du monde, pour six chansons dont notamment «Viva cuba» et «Le beurre et la frite», chanson encore d’actualité sur la xénophobie. Pour clore le premier disque, retour à Inédit 91, et le superbe «Rap’toi d’là que je m’y mette», rap collage de 17 minutes. Preuve est ainsi faite, Colette Magny est bien une artiste majeure de la chanson française.

Un projet pas suffisamment «vendeur»
Le deuxième disque consiste en la réédition de son avant-dernier album Kevork ou le délit d’errance. En 1989, Colette Magny n’est plus sous contrat avec une maison de disques. Au départ, elle rêve de créer un opéra avec trois chanteuses, des danseuses, deux comédiens, un décor onirique et des costumes. Cinq années de démarches infructueuses auprès de directeurs de production et de responsables culturels, où on la renvoie d’un bureau à l’autre, la contraignent à redimensionner son projet. Cette fin de XXe siècle est à la culture de divertissement et, s’ils saluent pratiquement tous la qualité du travail artistique, ils trouvent que le projet n’est pas suffisamment «vendeur». Colette Magny n’est du genre à renoncer mais elle se sent usée et humiliée. D’opéra, son projet devient «Poème lyrique et grave à propos de la bestiole pintade». C’est finalement en lançant une souscription au travers de l’association Colette Magny Promotion que l’album pourra enfin être réalisé.

Kevork ou le délit d’errance prend comme fil conducteur la pintade, cet oiseau aux origines mythologiques et dont l’histoire est si fortement liée à l’histoire humaine. Cet oiseau franchira l’atlantique avec les esclaves d’Afrique dans les cales des navires négriers. Au fil des vingt titres, Colette Magny raconte sa vie et ses préoccupations dans ce monde livré au libéralisme. Cet album conçu avec la complicité de Michel Précastelli n’était plus disponible et cette réédition est plus que bienvenue.

Le troisième disque, Pena Konga • Oink – Oink, revient sur les années septante et les chroniques politiques. «Je fais état de choses dont j’ai été témoin ou qui me touchent [… ] J’expose, je reconnais que ma manière de chanter est agressive mais j’expose». L’on retrouve ici les six titres de Pena Konga ainsi que les sept titres de l’album Répression.

Six chansons enregistrées avec des ouvriers en grève
Pena Konga raconte la grève de 1972 à l’usine Pennaroya de Gerland à Lyon. Des travailleurs immigrés, essentiellement maghrébins, se mettent en grève suite au décès de l’un des leurs, Mohamed Salem, écrasé par la chute d’un couvercle de four de 1’500kg. Colette Magny soutient cette lutte et enregistre, avec les ouvriers de l’usine. Ses six chansons racontent la grève, la dureté du travail des mines ainsi que les injustices auxquelles sont confrontés les travailleurs immigrés. Cet enregistrement restera inédit jusqu’à une première réédition CD de Colette Magny – Répression/Pena Konga en 1991.

Suit «Chronique du nord», qui évoque les travailleurs de la mine et les femmes de mineurs de Flandre Wallonne. «Répression» aborde la répression policière post 68 en France, chanson qui garde toute son actualité. La lutte des Panthères Noires est le thème central de «Cherokee». «Libérez les prisonniers politiques» est une chanson dont la musique a été composée par Léon Francioli. Elle figure ici dans sa version enregistrée en public à l’Olympia en 1974 que Colette Magny avait déjà choisie pour la réédition de 1991.

Ce triptyque Colette Magny, De Melocoton à Kevork se referme avec une chanson en hommage à la lutte du peuple basque «Camarade curé», dont le refrain «Non, non, je ne veux pas d’une civilisation comme celle-là», entonné par un choeur de curés basques, résume le combat de cette artiste hors normes de la chanson française.

Un livre en prime
A signaler également la réédition du livre de Sylvie Vadureau Colette Magny, citoyenne blues. Cet ouvrage, qui avait paru du vivant de Colette Magny en 1996, était devenu pratiquement introuvable. Sous forme d’une biographie-portrait, il nous plonge dans le parcours atypique de l’artiste. Le livre, illustré de nombreuses photographies, contient également des «regards croisés», témoignages d’artistes qui ont travaillé avec elle et les témoignages de Colette Magny à propos de ces mêmes artistes. Les éditions En Garde! Records proposent une très belle réédition de cet ouvrage qui a été publiée dans le cadre du festival «Colette Magnyfique», qui s’est tenu à Montreuil du 6 au 20 octobre. En Garde! Editions, un éditeur associatif, diffusent l’ouvrage dans les librairies indépendantes. A Lausanne il est notamment disponible à la librairie Basta Chauderon ainsi qu’à la libraire de la Louve.

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Colette Magny de Melocoton à Kevork
epm 6702697 – Colette Magny Mai 68 epm 986672 Colette Magny 91 Melocoton epm 986592 – Colette Magny, citoyenne blues, En Garde! Editions