«Il faut une réhabilitation de l’impôt»

Fiscalité • Face aux pratiques d’optimisation financière des plus riches révélées par les Paradise papers, Dominique Plihon, porte-parole d’Attac France, en appelle à en finir avec l’évasion fiscale des multinationales.

Nike, Glencore, Apple, mais aussi Wilbur Ross et Rex Tillerson, proches de Donald Trump, Stephen Bronfman, trésorier du Parti libéral du Canada ou le pilote de Formule 1 Lewis Hamilton ou même la reine d’Angleterre. Tous ont été épinglés dans le cadre de l’affaire des Paradise papers, fuite de 13,5 millions de documents, dont une bonne part est issue du cabinet d’avocats spécialisés Appleby, société établie dans les centres financiers offshore comme les Bermudes, les îles Caïmans, Jersey ou l’île de Man. Face à cette recherche éperdue d’optimisation fiscale de la part des super-riches et des multinationales, quelle riposte adopter? Dominique Plihon, économiste et porte-parole d’Attac France, association qui vient de sortir une publication sur la stratégie d’évitement fiscale du géant américain Apple, tout en proposant des mesures pour en finir avec l’évasion fiscale des multinationales, répond à nos questions.

Avez-vous été surpris par les nouvelles révélations issues des Paradise papers?
Dominique Plihon Non, pas vraiment. Même si le secret bancaire est en passe d’être supprimé et que l’échange automatique d’informations s’accroît, on sait que des multinationales comme Apple ou BNP Paribas continuent leur programme d’optimisation fiscale.

Quelles sont les mesures que vous préconisez pour éliminer ces pratiques des multinationales?

Un des points essentiels de cette lutte est d’obtenir une transparence fiscale des entreprises. Cela passe par ce que l’on appelle un reporting public pays par pays pour les multinationales. Ce dispositif les obligerait à déclarer les informations relatives à leur activité dans chaque pays où elles sont implantées. Elles signaleraient ainsi leur chiffre d’affaires, le nombre d’employés, le capital social, les bénéfices et impôts payés. Une telle déclaration permettrait ainsi aux administrations fiscales de détecter une possible stratégie d’évitement des impôts.

Nous voulons aussi que ces informations soient publiques et pas seulement réservées aux gouvernements, qui souvent font ce qu’ils veulent de ces informations. En France, par exemple, il existe un «verrou de Bercy», qui donne le monopole de la décision d’ouverture de poursuites pénales au ministre du Budget. Ce reporting public n’est pas une chose impossible. En 2013, il a été adopté par les banques aux échelles européenne et française. Ce qui a permis à des ONG de mettre en évidence que les banques se servent abondamment des paradis fiscaux pour éviter l’impôt. La transparence publique permettrait d’offrir un véritable outil de pression citoyenne en faveur de la justice fiscale.

Cette transparence des comptes est pourtant combattue par les multinationales au nom du secret des affaires. Est-ce une menace sérieuse à même de faire capoter votre revendication?

Effectivement, en France, la loi Sapin 2 de 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique qui prévoyait la publicité du reporting a été attaquée par le Conseil constitutionnel au nom de ce secret. Cependant, il y a des avancées, même si cela prend beaucoup de temps. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a ainsi inscrit le principe du reporting dans son plan d’action contre l’érosion des bases imposables et le transfert des bénéfices (BEPS) de 2015. Le problème actuel est que les USA refusent de s’y plier, mais l’UE doit absolument aller de l’avant dans le sens d’une harmonisation fiscale.

Est-ce que des pays comme l’Angleterre, qui dénombre plusieurs paradis fiscaux dans la Manche, ne va pas freiner ces velléités de réforme fiscale?
Dans la période actuelle marquée par des politiques d’austérité et de croissance des dettes publiques, nous pensons, avec nombre d’autres organisations, que l’on peut créer un rapport de force significatif pour obliger les gouvernements à faire des transformations qui vont dans le sens de la justice fiscale, même s’il est clair que c’est un travail de longue haleine.

Attac préconise aussi une lutte contre l’impunité fiscale. Comment mettre en place un système de sanctions?
Il faut renforcer tous les maillons de la chaîne qui lutte contre l’évasion fiscale. Cela commence par la protection des lanceurs d’alerte et même la constitution d’un droit d’alerte. Il faut ensuite renforcer les effectifs et les moyens des administrations impliquées dans la traque des délinquants financiers. On doit aussi faciliter la transmission des dossiers à la justice pour les cas les plus graves et les plus complexes. Pour finir, il faut que les pénalités pour des pratiques d’évasion fiscale soient réellement dissuasives pour marquer clairement la fin de l’impunité fiscale. Il faut aussi que les dirigeants des multinationales ayant commis un délit établi par la justice soient condamnés à payer des amendes sur les biens propres.

La transparence par reporting et la lutte contre l’impunité fiscale permettent de s’attaquer à l’évasion fiscale illégale en la détectant et en la condamnant. Cependant, il est urgent de réfléchir à une transformation plus profonde de l’impôt sur les multinationales dans le sens d’une taxation unitaire. Chaque multinationale devrait être considérée comme un tout et leur bénéfice comptabilisé à l’échelle globale et non plus à celle de chaque territoire. Sur la base de critères comme nombre d’employés, les salaires versés et le capital physique détenu par l’entreprise sur place, la part des bénéfices imposables serait alors redistribuée proportionnellement à ce que représente l’activité dans le pays par rapport à l’activité globale de la multinationale.

Un des problèmes actuels réside dans le fait que les Etats, à commencer par la Suisse et ses différents cantons, cherchent à baisser très fortement le taux d’imposition des multinationales pour les attirer sur leur territoire. Que pensez-vous de ce moins-disant fiscal?

Il est clair que ces dernières années les Etats ont multiplié les annonces de baisse de l’impôt sur les sociétés et les niches fiscales visant à attirer les multinationales. Ces rabais d’impôts sont catastrophiques. Si ce moins-disant fiscal persiste, les multinationales n’auront bientôt même plus besoin de se livrer à l’optimisation fiscale dans les paradis fiscaux. Cette baisse d’imposition sur les entreprises entraîne une diminution des recettes fiscales. Celle-ci est alors reportée sur d’autres parties de la population, en mettant à mal les capacités de nos sociétés à répondre aux urgences sociales et écologiques. C’est pour cela qu’Attac fait aussi campagne, à travers des actions symboliques comme le fauchage de chaises dans une banque comme la BNP Paribas, pour une réhabilitation de l’impôt. Il est injuste que les citoyens paient leur impôt jusqu’au dernier centime, alors que Starbucks ou Apple échappent à la taxation.

La semaine dernière, des dizaines d’organisations se sont retrouvées à Genève pour promouvoir la mise en place d’un Traité international contraignant sur les entreprises transnationales dans le cadre du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Ce traité verra-t-il enfin le jour?

Il faudra encore du temps pour mettre en place une telle législation offrant de nouvelles régulations sur les transactions financières, interdisant l’évasion fiscale ou obligeant les multinationales à respecter les droits humains ou environnementaux. En tant que membre de la campagne internationale pour mettre fin à l’impunité des multinationales, nous demandons qu’il soit ainsi mis fin au principe de la responsabilité limitée qui permet qu’une filiale située à l’étranger et le siège de l’entreprise multinationale soient compris comme deux entités juridiques complètement distinctes. C’est une nécessité alors que traités internationaux sur le commerce et l’investissement ont concédé aux acteurs économiques et financiers internationaux des pouvoirs disproportionnés, notamment en leur permettant de porter plainte contre des Etats, et une très forte impunité.