Inconscience et incohérence au parlement

Agriculture • Malgré l’irritation provoquée par les annonces de Johann Schneider-Ammann, le lobby paysan au parlement n’a soutenu ni l’initiative pour la souveraineté alimentaire d’Uniterre ni son contre-projet, qui pourtant défendaient les intérêts des paysans suisses.

A l'opposé de la position des autorités et des parlementaires, une part grandissante de la population soutient une agriculture durable de proximité. Ici, lors d’une manifestation à Genève (photo: Carlos Serra).

En septembre dernier, la population suisse a voté à une large majorité en faveur du principe de sécurité alimentaire. Avec d’autres formations de gauche, le PST/POP avait recommandé de refuser ce nouvel article constitutionnel, ce que certains n’avaient pas compris. Ce choix était lié au fait que le texte n’excluait pas la soumission de l’agriculture aux lois du marché.

Et il semble avoir été justifié. En effet, en novembre, le Conseil fédéral, représenté par son ministre de l’agriculture Johann Schneider-Ammann, a communiqué, lors de la présentation de sa stratégie agricole 2022, qu’il envisageait de réduire certaines taxes douanières protégeant la production agricole suisse, en d’autres termes de la soumettre à une plus grande libéralisation, ceci afin de permettre à d’autres secteurs de pouvoir exporter plus facilement. Des propos affirmant que l’intérêt des 2% de paysans ne devait pas empêcher les autres branches de l‘économie de faire des affaires ont même été entendus!

Les milieux paysans, et en particulier l’Union suisse des paysans (USP), dirigée par le PLR Jacques Bourgeois, ont vivement protesté, y voyant une trahison de la décision exprimée par la population suisse, et un «sacrifice des paysans sur l’hôtel du néolibéralisme».

Les contradictions des représentants paysans
Malgré ces cris outrés et dénonciations, ces mêmes milieux n’ont pas jugé bon de soutenir l’initiative pour la sécurité alimentaire du syndicat paysan Uniterre, discutée au Conseil national la semaine dernière. Celle-ci proposait pourtant des mesures pour soutenir la production agricole indigène, notamment via le maintien des droits de douane sur l’importation de produits agricoles et de denrées alimentaires. Elle voulait aussi encourager une production écologique, une rémunération juste des paysans, de bonnes conditions de travail dans le domaine et interdire les OGM ou les subventions à l’exportation. Un contre-projet présenté par le socialiste Beat Jans reprenait différents aspects de l’initiative.

Le contre-projet, soutenu par les Verts, le PST/POP et les socialistes, a été rejeté par 126 voix contre 49 et 6 abstentions. Quant à l’initiative, elle a été jugée excessive par tous les partis sauf les Verts et le PST/POP. Pourtant, elle aurait permis «non seulement à la population de notre pays d’avoir des garanties sur la qualité de ce qui se trouve dans son assiette, mais également d’assurer à nos agriculteurs une rémunération décente, leur garantissant ainsi la possibilité d’assurer la survie de leur exploitation», comme l’a relevé le conseiller national PST/POP Denis de la Reussille lors des débats.

«A l’heure où la question du réchauffement climatique inquiète de plus en plus la population de notre pays, la question d’une production agricole de proximité est cruciale. Nous devons nous assurer que les produits que nous consommons n’ont pas effectué des milliers de kilomètres en camion ou en avion, alors que ceux-ci pourraient être produits près de chez nous (…) Or, le texte qui nous est soumis favorise le maintien, voire la création, de structures régionales de transformation, de commercialisation et de stockage, ce qui en soi est également créateur d’emplois», a encore argumenté le conseiller national neuchâtelois, sans succès.

Sortir le monde politique de sa bulle fédérale
Du côté d’Uniterre et de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire, on constate que «malgré un débat intense lors de ces séances dédiées à l’avenir de la politique agricole et alimentaire, il semblerait que le parlement n’ait pas pris conscience de l’ampleur du problème. Notre agriculture paysanne disparaît et le système alimentaire s’industrialise. Aucun aspect de la durabilité n’est assuré. Au niveau social, les paysans et paysannes font partie des travailleurs pauvres et des candidats au burn-out tandis que les consommatrices et consommateurs accumulent les intolérances alimentaires et essayent de s’en sortir en achetant de la nourriture toujours moins chère». Et de conclure: «Si le Conseil national n’est pas capable de revoir sa position ou au moins de proposer un contre-projet substantiel, il incombera une fois de plus au peuple de sortir le monde politique de sa bulle fédérale».