«L’état des dents permet de déterminer le revenu familial»

Vaud • Pour Bernard Borel, pédiatre FMH à Aigle et membre du comité d’initiative pour la mise en place d’une assurance remboursant les soins dentaires, sur laquelle les vaudois voteront le 4 mars, cette idée «n’est pas révolutionnaire ni irréaliste. Elle répond à un impératif de justice sociale et sanitaire». Interview.

Brigitte Crottaz (PS), Bernard Borel (POP) et Alix Aubert (solidaritéS) lors du lancement de la campagne sur les soins dentaires. (photo: Christophe Grand)

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Paru dans Résistance, adapté par la rédaction

En quoi la création d’une assurance publique pour le remboursement des soins dentaires serait une petite révolution?
Bernard Borel Cela serait peut-être une révolution en Suisse, mais c’est déjà une réalité dans les pays qui nous entourent, que cela soit l’Autriche, l’Allemagne ou la France, qui ont pourtant un système de financement des soins très différent les uns des autres. C’est aussi reconnaître que la santé buccale est un élément essentiel de la santé: qui aurait idée d’exclure le cœur ou les poumons des soins remboursables?
Enfin, il s’agit d’une revendication historique de la gauche en Suisse, puisque l’initiative du PS pour une assurance maladie pour tous, rejetée en 1974, incluait les soins dentaires dans le catalogue de prestations remboursables. Le Conseil fédéral l’avait également proposé dans son projet de loi sur l’assurance maladie et maternité, rejeté par le peuple en 1987 (davantage en raison de la tarification médicale et du principe d’assurance maternité que du remboursement des soins dentaires). C’est donc remettre les soins dentaires à leur juste place, à un moment où de plus en plus de gens y renoncent pour des raisons économiques: une personne sur 5 selon une étude menée récemment par une équipe médicale des HUG (Hôpitaux universitaires genevois).

En tant que pédiatre FMH, voyez-vous par votre profession l’importance de mettre en place une telle initiative?
On observe en effet combien les déterminants sociaux sont importants dans la santé buccale: autrement dit, on peut assez aisément, à âge égal, déterminer le revenu familial, en fonction de l’état des dents. Il y a une injustice profonde que cette initiative veut tendre à effacer. Elle consolide le volet de la promotion de la santé buccale et de la prévention des caries, qui porte déjà ses fruits, et elle permet aussi que les soins dentaires soient accessibles de manière équitable sur tout le canton.

D’après vous, pourquoi le corps médical et en particulier les dentistes ne prennent que peu position publiquement sur le projet?
Déja plus de 120 de médecins ont, à ce jour, signé l’appel pour soutenir l’initiative. Les médecins de santé publique et ceux qui s’occupent des populations vulnérables sont en principe favorables. Ceux qui sont en pratique libérale ont probablement déjà assez à faire pour essayer de défendre une santé de qualité, alors que le catalogue des prestations remboursées par la LAMAL est régulièrement mis à mal. Ils sont actuellement centrés sur la révision du TARMED, sur laquelle ils n’ont pas pu s’entendre avec les assurances et où le Conseil fédéral a pris des décisions discutables, tendant à limiter le temps consacré à chaque patient. Ils ont fort à faire avec un lobby des assurances très écouté au Parlement fédéral.

Quant aux dentistes, ils se sont opposés au remboursement des soins dentaires dès le début. La Société Suisse d’Odontostomatologie (SSO) a toujours défendu l’idée de la prévention des caries par la responsabilité individuelle, en se brossant les dents et/ou en assumant l’intégralité des coûts des soins si «négligence». Les dentistes peuvent actuellement pratiquer les tarifs qu’ils décident, sans aucun contrôle, et ils n’ont pas d’avantages directs à des remboursements socialisés.

La droite, les milieux économiques et patronaux, accusent les initiants de vouloir mettre en place une assurance qui videra les caisses de l’Etat. Que répondez-vous?

La future assurance dentaire sera principalement financée par une cotisation paritaire de 0,5% sur les salaires, donc financée solidairement par la population. Le canton participera certes pour certaines personnes, comme celles à l’aide sociale, mais pas plus qu’il ne le fait déjà maintenant. Cela dit, cette attaque est absurde au moment où les pouvoirs publics se portent particulièrement bien, avec un canton qui n’a pratiquement plus de dette, et alors que ces mêmes milieux défendent bec et ongles l’introduction de la RIE3 cantonale, qui diminue les impôts des grandes sociétés, et donc les rentrées fiscales.
Cette initiative n’est pas révolutionnaire ni irréaliste. Elle répond à un impératif de justice sociale et sanitaire. Comme le dit la célèbre citation: «Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit.»

La droite affirme également que seuls certains soins dentaires seront remboursés. Qu’en est-il?
En principe tous les soins de bases seront remboursés, mais c’est la loi qui définira le catalogue de prestations. En affirmant cela, la droite avertit déjà qu’en cas d’acceptation, elle fera tout pour en limiter les contours.

Que répondez-vous aux citoyens qui trouvent «qu’ils sont déjà assez taxés»?
Qu’ils se souviennent de leur dernière facture de dentiste ou du moment où ils ont différé un contrôle ou un traitement dentaire! C’est 1% du salaire (0.5 à la charge des salariés, donc 30 fr pour un salaire de 6000 frs.), qui sera nécessaire pour assurer tous les résidents vaudois, pour une prestation encore une fois essentielle à la santé.