Les régions périphériques sont menacées

Suisse • «Un oui à No Billag affecterait particulièrement les régions périphériques et leur tissu économique local», dénonce Philippe Zahno, président de l’Union des Radios régionales romandes. Interview.

«Les radios régionales de Suisse romande ont 4000 à 4500 clients qui sont souvent des petites entreprises ou artisans. Ils verraient leur support de publicité disparaître», alerte Philippe Zahno. (DR)

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La redevance, collectée par Billag, bénéficie principalement à la SSR. 4 à 6% de la manne va toutefois à 13 télévisions et 21 radios régionales, comme Canal 9 en Valais, Léman Bleu à Genève, Canal Alpha dans le canton de Neuchâtel, ou les radios neuchâteloises et jurassiennes RTN, RJB et RFJ. Philippe Zahno, président de l’Union des Radios Régionales Romandes et secrétaire général de l’association «non à la disparition des radios TV», explique comment une acceptation de No Billag toucherait ces médias, en plus de la fin programmée de la SSR.

Dans quelle proportion les chaînes radio/TV régionales se financent-elles avec la redevance et quel impact sa suppression aurait-elle sur elles?
Philippe Zahno La redevance représente en moyenne 30 à 35% du budget des radios et 65% des télévisions régionales. Les radios qui en bénéficient sont avant tout celles des régions périphériques. Sur Lausanne et Genève, 4 radios commerciales fonctionnent sans redevance, parce que la puissance financière et publicitaire de ces deux régions est suffisante. En revanche, dans le Jura, le Jura bernois, Neuchâtel, Fribourg, Bienne ou le Valais, la force du marché publicitaire est insuffisante. Ce sont essentiellement ces régions qui souffriraient de la disparition de la redevance. En ce qui concerne les télévisions, ce serait même plus radical. Léman Bleu (GE) et La Télé (VD) disparaîtraient. Avec deux tiers de budget en moins, et même en étant sur l’Arc lémanique, leurs ressources financières seraient insuffisantes.

Les initiants brandissent l’exemple de TeleZüri, qui tourne sans redevance…
Il y a une seule télévision régionale en Suisse qui fonctionne sans redevance, c’est TeleZüri. Mais ses résultats financiers sont toujours limite, et elle travaille dans la région la plus riche de Suisse!

Combien d’emplois perdus cela représenterait-il pour les radio/TV locales?
En Suisse romande, ce sont 330 emplois environ. Mais l’impact ne se limiterait de loin pas à cela. Les médias régionaux forment beaucoup de jeunes journalistes et techniciens. C’est une vraie pépinière qui disparaîtrait. Cela entraînerait aussi de grosses conséquences pour les tissus économiques locaux. Les radios régionales de Suisse romande ont par exemple 4000 à 4500 clients qui sont souvent des petites entreprises ou artisans, peintres, bouchers, boulangers, etc. Ils verraient leur support de publicité disparaître (au niveau suisse, SSR comprise, les opposants évaluent à 13’500 le nombre d’emplois menacés en cas d’acceptation de No Billag, ndlr). Enfin, la vitalité politique et démocratique de ces régions en pâtirait gravement. En Valais ou dans le Jura, personne d’autre que les radios/TV locales ne va faire vivre la culture, le sport, la politique, etc. Ce ne sont pas les médias lausannois qui le feront.

Les partisans de l’initiative affirment que les radios/TV régionales, tout comme la RTS, pourraient fonctionner avec des abonnements volontaires ou la publicité. Qu’en dites-vous?
Le marché publicitaire suisse est essoré. La presse a perdu un milliard en 7 ans, la TV perd 330 millions par an. Les radios régionales comptent elles aussi avec une perte sur la publicité nationale. Dans tous les cas, plus de pub dans l’audiovisuel se ferait au détriment de la presse qui va déjà très mal. Quant aux abonnements, Canal 9, la télévision valaisanne, a réalisé une expérience claire: elle a demandé aux ménages valaisans de s’abonner, mais seuls 5% l’ont fait, le montant correspondant étant totalement insuffisant.

Qu’en est-il de l’idée que les cantons pourraient prendre le relais, comme l’avancent certains des partisans de l’initiative?
La redevance bénéficie principalement aux radios des cantons périphériques, dont les pouvoirs publics sont en moins bonne situation financière. Et ce sont ces mêmes cantons qui devraient passer à la caisse, alors que Lausanne et Genève continueraient à avoir leurs radios. Pour le Valais, il a été calculé qu’il faudrait 10 millions pour maintenir les 4 médias audiovisuels du canton à la hauteur de ce qu’ils offrent aujourd’hui. Le gouvernement valaisan a déjà affirmé que c’était hors de question. A l’opposé, le système actuel instaure une solidarité entre régions: la Suisse romande contribue à la redevance à hauteur de 23% mais bénéficie de 33% du total.

Que dites-vous aux initiants qui affirment que les jeunes ne regardent plus la télévision?
Il est clair que les jeunes consomment moins la TV et la radio que leurs parents et grands-parents. Cela dit, les chiffres d’audience montrent que 86% des Suisses écoutent la radio une fois par jour. En Suisse romande, 94% des habitants écoutent ou regardent une fois par jour une émission de la RTS. Trois-quarts des automobilistes écoutent aussi la radio dans leur voiture. Il ne faut donc pas exagérer.

Certains citoyens ont de la peine à payer leur facture Billag ou estiment que la redevance devrait être proportionnelle au revenu. Que leur dites-vous?
Nous avons dans chaque canton romand ou presque une radio et une télévision à caractère régional, et puis la SSR. 60 chaînes sont soutenues pour un franc par jour. Est-ce cher? Pour certains ménages, cela le reste peut-être, mais ce n’est pas le débat. On ne vote pas sur le style ou les modalités de la redevance, mais sur l’existence ou non de cette redevance, et si on la supprime, on fera disparaître la SSR, toutes les chaînes TV et seules quelques radios régionales survivront tant bien que mal. Le plan B n’existe pas.

Les derniers sondages ont vu une progression du «non» à l’initiative. Êtes vous confiant à ce stade de la campagne?
Nous ne sommes pas surpris car les sondages précédents ont été faits sur des bases peu professionnelles, et puis le public commence à être mieux informé. L’impressionnante liste des opposants, qui va des partis politiques (sauf l’UDC et les jeunes PLR), aux sportifs, chanteurs, yodleurs, en passant par de nombreux cantons ou communes, provoque probablement une certaine prise de conscience. Cela dit, il ne faut absolument pas relâcher la pression. Cette votation ne touche pas seulement aux médias, mais aux fondamentaux de notre pays. Il s’agit de la vie civile, sociale, culturelle et sportive.