Les budgets participatifs, un bon remède pour la démocratie locale?

Démocratie • Les budgets participatifs sont en plein boom en Europe. En France, une cinquantaine de villes, à l’image de Montreuil, ont décidé de laisser aux habitants le choix de définir l’utilisation d’une partie du budget (par Mathias Souteyrat et Pierre Duquesne, paru dans l’Humanité)

Article initialement paru dans l’Humanité

Au 89, rue Pierre-de-Montreuil, dans le quartier des Murs à pêches de Montreuil (Seine-Saint-Denis), la salle est pleine. Des dizaines d’habitants découvrent une kyrielle de projets d’aménagements possibles pour leur quartier. Comment sécuriser l’école Danton? Comment relooker les toilettes publiques? Pourquoi ne pas créer une piste cyclable lumineuse? Pourquoi ne pas créer une cabane en hauteur qui permettrait de mieux découvrir les murs à pêches, cet ancien verger qui jouxte Paris? Souvent étonnantes, ces pistes ne sont pas le fruit des réflexions de l’équipe municipale: elles sont directement formulées par les habitants, au travers du budget participatif.

«Prenez le pouvoir et décidez comment utiliser une partie de vos impôts pour réaliser les projets qui vous tiennent à cœur!» insiste le site Internet de la mairie pour présenter la «saison2» de cette grande consultation citoyenne. «Au total, 364 projets ont été déposés, contre 287 lors de la première édition, en 2015», se félicite Patrice Bessac, maire de Montreuil, convaincu que le budget participatif est «un levier» pour faire émerger dans la politique municipale «une vision plus quotidienne, plus simple, plus ancrée dans la vie associative des différents quartiers».

«Nous donnons du pouvoir d’agir concret aux habitants»
A Montreuil, comme à Paris, ce sont 5% du budget d’investissement de la ville qui seront fléchés directement par les habitants, via le budget participatif. La ville de Seine-Saint-Denis n’a pas les moyens de la capitale, où ce dispositif représente l’équivalent d’un demi-milliard sur le mandat 2014-2020, mais avec 3 millions attribués cette année, il y a quand même de quoi faire. Le principe est simple: les citoyens sont appelés à élaborer des projets pour leur quartier. Une analyse technique est réalisée par la ville et les projets les plus solides sont soumis au vote. Ceux qui sont retenus sont mis en œuvre par l’exécutif local selon le précepte: «Vous décidez, nous réalisons.»
Trente-cinq projets ont déjà été réalisés à Montreuil. Des guinguettes éphémères ont été créées pour que les habitants se réapproprient des friches tout en créant du lien social. La construction d’un terrain multisport a aussi été actée. «Nous donnons du pouvoir d’agir concret aux habitants», insiste Tania Assouline, adjointe au maire, déléguée à la démocratie locale.

Aujourd’hui, l’intérêt pour cet outil connaît un véritable essor
Le budget participatif, qui n’a rien d’une nouveauté, connaît ces derniers temps un véritable boom. Il est né en 1989 à Porto Alegre au Brésil. Cette innovation a été importée en France par «les courants altermondialistes dans les années 2000 et mise en œuvre bien souvent par des municipalités communistes», explique Yves Sintomer, professeur de science politique à Paris-VIII. Aujourd’hui, l’intérêt pour cet outil connaît un véritable essor. En moins de trois ans, le nombre de budgets participatifs a été multiplié par 8 dans l’Hexagone, selon une étude réalisée par Antoine Bézard, fondateur du site lesbudgetsparticipatifs.fr. Au total, 47 villes françaises y ont eu recours en 2017, contre 25 l’année précédente.

Comment expliquer ce regain d’intérêt? «Une nouvelle vague est apparue en France et en Europe avec l’adoption du budget participatif à Lisbonne, en 2008, et à Paris, en 2014», rapporte Yves Sintomer. En plus d’offrir une exposition plus grande, ces deux projets portaient aussi «des pouvoirs décisionnels plus prometteurs, en octroyant aux citoyens la possibilité de voter sur les projets». Cela donne un «enjeu concret» et motive les participants. A condition que «les sommes soient suffisamment conséquentes», prévient toutefois Yves Sintomer, en cette période de baisse des dotations. Si une ville comme Paris accorde des moyens non négligeables à son budget participatif, elle ne soumet pas encore au vote les «choix lourds et structurants», tels que la municipalisation du service des eaux, la construction de tours au-delà des plafonds légaux ou encore la fermeture des voies sur berges.

Le profil des porteurs de projets est un enjeu essentiel
«En France, les budgets participatifs visent en premier lieu à booster la participation citoyenne plutôt qu’à réorienter les ressources publiques en faveur des plus pauvres», abonde le spécialiste Antoine Bézard. Cet objectif de partage des richesses était pourtant à l’origine du projet de Porto Alegre et demeure très présent dans le budget participatif de San Antonio, au Chili. «Dans cette ville de 100’000 habitants, un tiers de la population se mobilise pour défendre ses intérêts.» A Paris, 30% des fonds alloués par le budget participatif parisien sont prioritairement destinés aux quartiers populaires de la capitale.

Le profil des porteurs de projets est donc un enjeu essentiel. Bien qu’ils réduisent la distance existant entre les citoyens et la chose publique, les budgets participatifs ne sont pas un remède miracle. «Ils produisent moins d’inégalités de participation politique que les outils de démocratie représentative, mais ces inégalités ne restent pas moins présentes», souligne Yves Sintomer. Raison pour laquelle la ville de Montreuil a mis en place des agoras citoyennes dans tous les quartiers de la ville pour associer un maximum d’habitants et «créer du collectif», souligne Tania Assouline. Plusieurs contrats de service civique ont été signés pour aller au contact des personnes les moins mobilisées, en particulier les jeunes. A Montreuil, où l’histoire ouvrière a produit «une grande culture de la solidarité», le budget participatif est aussi l’occasion d’inventer un nouveau rapport entre les citoyens et la municipalité. Et sur ces sujets-là, les résultats ne seront pas immédiats, plaide Yves Sintomer. «On ne peut pas inventer le modèle parfait du premier coup!»