Une marche internationale pour Afrin

Mobilisation • Mille manifestants des quatre coins de l’Europe, kurdes, turcs et internationalistes, ont marché cette semaine de Lausanne au siège de l’ONU, à Genève, pour dénoncer l’offensive turque au Rojava et exiger une réaction de la communauté internationale.

La marche se terminera par une grande manifestation ce vendredi devant les Nations Unies, à Genève, où plusieurs milliers de personnes sont attendues (photo: Orhan Güneş).

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«Je suis concernée, j’ai de la famille là-bas, et puis je suis une femme. Et à Afrin, comme auparavant a Kobané, ce sont avant tout les femmes qui luttent.» Denise Tolu, représentante du Congrès démocratique des peuples (turc) en France, participait cette semaine à la marche organisée entre Lausanne et Genève pour dénoncer l’offensive turque contre Afrin, dans le Rojava, région du nord de la Syrie contrôlée par les Unités de protection du peuple kurdes (YPG/ YPJ). Venue depuis Paris, elle a rejoint près de 1000 marcheurs des quatre coins de l’Europe, représentant 82 organisations kurdes, turques ou internationalistes de 17 pays, pour dénoncer le «massacre» qui se déroule depuis le 20 janvier dans l’indifférence quasi générale, et malgré de nombreuses mobilisations citoyen-nes un peu partout dans le monde. La marche se terminera par une grande manifestation ce vendredi devant les Nations Unies, où plusieurs milliers de personnes sont attendues. Des revendications y seront adressées à la communauté internationale.

Un projet révolutionnaire
Il y a quelques mois, les YPG, aujourd’hui laissées à elles-mêmes, étaient les principales alliées de Washington dans la lutte contre Daesh. Mais elles se faisaient connaître aussi pour la place prépondérante des femmes dans leurs rangs et l’expérience politique rare menée dans les régions sous leur contrôle, à savoir un système ni confessionnel, ni nationaliste basé sur une démocratie laïque paritaire où les minorités sont représentées. «A Kobané, 50% de la victoire est due aux femmes, je manifeste aussi pour leurs droits», confie Denise Tolu, qui estime que «l’Etat turc a décidé de détruire Afrin et veut casser la révolution au Rojava». «En Turquie, ceux qui se mobilisent vont en prison. On ne peut même pas se prononcer contre la guerre sur facebook, alors on manifeste ici», ajoute-t-elle. De fait, plus de 300 personnes ont été interpellées depuis le 20 janvier en Turquie pour avoir critiqué l’offensive sur Afrin, selon Le Monde.

Plusieurs personnalités suisses comme le municipal popiste lausannois David Payot ou la conseillère nationale socialiste genevoise Laurence Fehlmann Rielle ont manifesté leur solidarité. La communauté kurde de Suisse était aussi de la partie. Mehmet Korkmaz, réfugié politique depuis 1987 et militant du POP, s’est investi dans la logistique autour de l’événement. «Je suis d’origine kurde, j’ai fait 5 ans de prison en Turquie, je connais la situation. J’aurais même peur de retourner en Turquie maintenant!» explique-t-il.

Ihsan Kurt, conseiller communal socialiste à Prilly et chargé de la communication pour la manifestation, dénonce un régime turc qui «veut enterrer la question kurde de façon militaire et sécuritaire» et qui «craint une région autonome et démocratique proche du Kurdistan turc». Mais il voit aussi d’autres ennemis: «Le projet égalitaire, écologiste, multiculturel et démocratique développé au Rojava dérange les régimes totalitaires du Moyen-Orient, car il est révolutionnaire par rapport aux systèmes patriarcaux qui dominent dans la zone». Et de dénoncer l’alliance de la Turquie avec des «bandes islamistes» dans le cadre des combats à Afrin. «C’est la première région à établir l’égalité homme-femmes dans un pays musulman», renchérit Ismail Unal, membre du POP et du parti de la refondation socialiste, composante du HDP turc. Il s’est lui aussi mobilisé cette semaine «pour défendre les enfants en train de mourir. On n’a pas besoin d’être kurde ou turc pour se manifester. Tout le monde doit être contre ça»!

«Eviter des massacres et un génocide»
D’après les manifestants, il y aurait en effet de nombreuses victimes civiles. Dans une liste de revendications diffusée publiquement, ils demandent aux Nations Unies, notamment, «de se réunir immédiatement afin d’éviter des massacres et un génocide à Rojava». «La Turquie ne progresse pas comme elle le souhaiterait dans son offensive et commet donc des massacres de civils», selon Ihsan Kurt. Les victimes seraient 400 d’après lui. D’autres chiffres circulant un peu partout et qui proviendraient de l’hôpital d’Afrin évoquent, eux, environ 180 morts et 400 blessés civils depuis le début des opérations. «L’ONU doit faire quelque chose contre ce massacre. L’Etat turc désigne les civils tués comme terroristes, mais parfois il s’agit d’enfants de 2 ou 3 ans!», proteste Denise Tolu. Ce vendredi, la marche se terminera justement devant l’organisation internationale pour exiger d’elle, mais aussi de tous les pays, dont la Suisse, un positionnement clair et des actions concrètes notamment pour faire cesser les bombardements.

Tous dénoncent le silence de la communauté internationale ou ses protestations trop timides. «Les forces révolutionnaires kurdes ont battu Daesh, ont sauvé le monde. Maintenant, il faut que le monde soutienne la population kurde. Des femmes et des enfants sont tués, et les Etats-Unis, notamment, ferment les yeux. C’est pour ça que nous sommes là», explique Koc Yuksel, président d’un regroupement d’associations kurdes européennes et l’un des organisateurs de la manifestation. Et de rappeler également qu’«Afrin a accueilli 500’000 réfugiés durant le conflit syrien». Si les YPG devaient être vaincues, il craint un retour de l’islamisme radical dans la région: «Il faut que les gens bougent. Ce n’est pas que la population d’Afrin qui est concernée, mais tout le monde. Des attentats pourraient venir jusqu’ici, en Europe, à Londres».

«Il y a une dette, une responsabilité politique et éthique de la communauté internationale envers ces hommes et ces femmes qui se sont battus. Elle ne peut pas les laisser tomber», conclut Ihsan Kurt.