«Trump ne tient pas ses promesses envers les travailleurs»

Etats-Unis • Après une année au pouvoir, le président américain Donald Trump s’attribue tous les mérites et affirme notamment avoir créé plus de 2 millions d’emplois. Mais du côté du monde syndical, on ne le voit pas tout à fait de la même manière. Interview.

La grande campagne en cours dans le secteur du fast-food pour un salaire à 15 dollars a amené de nombreux nouveaux membres à un mouvement syndical autrement affaibli, après des années de lobbying antisyndical (photo: Steve Rhodes).
Philip Jennings, secrétaire général d’UNI Global Union.

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Depuis son accession au pouvoir, Donald Trump prétend agir dans l’intérêt des travailleurs et des «laissés pour compte». Il l’a claironné récemment à Davos et lors de son discours sur l’Etat de l’Union. Nous avons fait le point sur ces affirmations avec Philip Jennings, secrétaire général d’UNI Global Union, fédération syndicale internationale basée à Nyon.

Combien de travailleurs UNI Global Union représente-t-il, notamment aux Etats-Unis?

Philip Jennings Nous sommes un syndicat global pour le secteur tertiaire. 900 syndicats nationaux sont affiliés à Uniglobal, ce qui représente 20 millions adhérents, mais les travailleurs qui bénéficient de nos accords sont bien plus nombreux. Aux Etats-Unis, nous sommes fortement présents dans le secteur du commerce, des services (sécurité, nettoyages, soins aux personnes âgées, etc.), de la communication, de la poste, des médias, du spectacle, etc. Au total, cela représente un million à un million et demi d’adhérents. Il faut savoir que le mouvement syndical est très affaibli aux Etats-Unis après de nombreuses années de lobbying antisyndical notamment de la part du patronat.

Trump a affirmé à Davos qu’il avait créé 2,4 millions d’emplois aux Etats-Unis et que le chômage y était plus bas que jamais. En tant que syndicaliste, qu’en dites-vous?
Trump prétend être à l’origine de tous les succès, mais la racine de cette réussite est la politique économique d’Obama, ainsi qu’une amélioration de la situation macroéconomique dans le monde. Sous Obama, la création d’emplois avait déjà commencé à augmenter et la bourse était déjà sur la pente ascendante. D’ailleurs, l’emploi croît moins vite actuellement que sous Obama. Quant au chômage, officiellement, il est à 4,1%, mais si l’on prend en considération les personnes qui cherchent un emploi sans être inscrits au chômage ou qui ont renoncé à en chercher un, le taux est plus proche des 9%. Enfin, le taux de participation des travailleurs américains au marché du travail se situe aux alentours de 62%, ce qui est historiquement bas. Trump prétend défendre les travailleurs, mais il pratique en réalité une politique de déréglementation absolue du marché du travail et des droits syndicaux.

Pouvez-vous donner des exemples?
L’Economic Policy Institute (EPI), think tank respecté de tendance centre-gauche, a par exemple listé 10 actions prises par Trump qui vont à l’encontre des intérêts des travailleurs. L’Obamacare va notamment être affaibli. 13 millions de personnes sont en danger de perdre leur assurance santé. Une autre mesure concerne les heures supplémentaires: leur paiement ne sera pas protégé pour 12,5 millions d‘employés. Dans la restauration, la réglementation va également être changée et les travailleurs seront moins bien protégés contre l’appropriation des pourboires par leur employeur. Or, dans ce secteur, les salaires sont tellement bas que les gens vivent sur le pourboire. La réglementation des appels d’offres publics a aussi été modifiée. Sous Obama, une entreprise en infraction avec la loi américaine et en particulier la loi sur le marché du travail ne pouvait pas répondre à un tel appel d’offre. Maintenant ce sera le cas. Il y a aussi un changement de réglementation en ce qui concerne la santé et la sécurité au travail. Avant, le patron devait enregistrer tous les problèmes rencontrés dans son entreprise par rapport à ces questions, ce ne sera plus le cas.

La liste paraît longue…
Effectivement. On assiste à une attaque systématique des droits sur la place de travail, qui semble passer complètement sous le radar des journalistes. Citons encore deux cas: la possibilité de réaliser une action juridique collective auprès des tribunaux a été affaiblie en faveur d’arbitrages obligatoires, qui sont défavorables aux travailleurs. Enfin, un élément important du système de protection des travailleurs est menacé: actuellement, les accords collectifs négociés par les syndicats s’appliquent à l’ensemble des salariés, même s’ils ne sont pas syndiqués, mais en échange, tous doivent payer une cotisation syndicale. Trump, soutenu par les Républicains et les lobbyistes antisyndicaux, très actifs aux Etats-Unis, veut supprimer cela. Cela affecterait fortement le mouvement syndical qui est déjà faible. Le taux de syndicalisation dans le pays est de 10% environ, et de 6% dans le secteur privé, il n’a jamais été aussi bas. En comparaison, un salarié sur trois est syndicalisé en Angleterre ou en Allemagne. Cela dit, exceptionnellement, l’an dernier, les effectifs ont augmenté de 262’000 membres.

Comment expliquer ce regain d’intérêt pour les syndicats?

Une grande campagne est en cours dans le secteur du fast-food et des bas salaires pour exiger un salaire minimum à 15 dollars. La mobilisation est conjointe avec le mouvement social. Des Eglises ou des ONG y participent aux côtés des syndicats. Cela a mené à de nombreuses nouvelles adhésions et notamment beaucoup de jeunes.

Trump a aussi mis en avant le fait que sa politique fiscale ramènerait des entreprises aux Etats-Unis. Apple a déjà annoncé qu’elle créerait 20’000 emplois. Qu’en pensez-vous?
Cette politique de baisse drastique de l’imposition des entreprises va augmenter le déficit. Et je suis presque sûr que d’ici un an, les Républicains proposeront des mesures d’austérité dans les dépenses sociales, ce qui affectera la majorité de la population. Cette politique favorise les plus riches et augmentera les écarts entre riches et pauvres. Il n’y a aucun doute là dessus. L ‘EPI estime d’ailleurs que 63% environ des bénéfices de la réduction des impôts iront au 10% des plus riches.
Il s’agit par ailleurs d’un grand cadeau aux entreprises américaines, dont les bénéfices et les performances étaient déjà historiquement à la hausse. L’espoir est que la «théorie du ruissellement» fonctionne, soit qu’il en résulte des investissements dans l’économie réelle, mais on a vu par le passé que ce n’est en général pas ce qui se passe. Cette politique va vraisemblablement bénéficier aux actionnaires avant tout.

Vous voyez donc le cas d’Apple comme exceptionnel et n’y croyez pas trop?

On espère qu’Apple créera les emplois annoncés. Cela dit, il faut savoir qu’Apple refuse encore de payer à l’Irlande les 13 milliards d’avantages fiscaux indus qu’elle lui doit. D’une façon plus générale, il faut aussi souligner qu’il y a un problème lié au pouvoir d’achat des citoyens. On réduit les taxes des entreprises, on espère qu’elles investissent, mais il n’y a pas de marché parce que le pouvoir d’achat des gens est sans cesse affaibli. C’est le talon d’Achille de la «théorie du ruissellement». C’est pour cela que nous demandons une augmentation des salaires réels. C’est peut-être la racine d’une nouvelle impulsion pour l’économie.

Certains travailleurs peuvent être séduits par des idées comme sauver l’industrie du charbon par exemple. Comment les syndicats et la gauche en général peuvent-ils se positionner par rapport à cela?
En s’adressant directement aux personnes écartées par le processus de globalisation et les accords de commerce, Trump a obtenu leur soutien. Même si on trouve sa politique honteuse, au niveau de son discours raciste par exemple, il faut admettre qu’il y a une certaine réalité dans ce qu’il dit sur les accords de commerce. Lorsqu’il affirme qu’ils ont défavorisé la classe ouvrière, il a raison. Il leur manque le côté social, le soutien aux droits humains, syndicaux etc. Ils ne font d’ailleurs plus l’objet d’un consensus général. Cela dit, si l’on regarde la politique de Trump par rapport au marché du travail, on voit bien qu’il n’est pas fidèle à ses promesses envers les travailleurs. C’est ce que les supporters de Trump ne voient pas ou ne veulent pas voir.

Que devrait faire la gauche pour se faire entendre de ces personnes?
La gauche doit réorienter ses politiques beaucoup plus sur les lieux de travail et la vie réelle de la classe ouvrière. Elle ne doit plus ignorer le mouvement syndical et défendre une politique sociale orientée vers l’assistance des gens qui travaillent. Les démocrates américains, comme les travaillistes en Angleterre, ne l’ont pas fait suffisamment. La réalité sur les places de travail, c’est trop souvent la précarité, l’insécurité, et un salaire qui stagne. Il faut de nouvelles politiques sociales dans le monde du travail.