La course aux profits de La Poste sera-t-elle enfin freinée?

Suisse • Depuis fin 2016, Syndicom demande un moratoire sur les restructurations de La Poste le temps qu’un débat parlementaire ait lieu. Le dernier scandale à CarPostal augmentera la pression en ce sens, espère le syndicat.

Pour Syndicom, «il est fondamentalement absurde que les services publics soient censés générer des bénéfices de plusieurs millions». (©Marcel Bieri)

Début février, on apprenait que 78 millions de francs de subventions publiques avaient été perçus de manière illégale entre 2007 et 2015 par CarPostal, filiale de La Poste suisse. CarPostal aurait transféré vers d’autres secteurs des coûts et des produits du transport régional subventionné, avec pour conséquence la perception de subventions trop élevées pour ce même transport régional. CarPostal devra rembourser l’intégralité de ce montant à la Confédération et aux cantons. Son directeur a démissionné immédiatement. Quant à la directrice de La Poste Susan Ruoff, elle prétend n’avoir pas été au courant de ce qu’il se passait jusqu’à récemment et est à ce jour toujours à sa place, malgré de nombreux appels à la démission. Une enquête est en cours.

L’appât du gain
Pour Syndicom, les causes profondes du scandale sont claires: il s’agit de «l’appât du gain de La Poste, dont les collaborateurs font les frais depuis des années». Et de dénoncer des «attentes de profits exagérées, fixées non seulement par la direction de la Poste, mais aussi par les politiques. Il est fondamentalement absurde que les services publics soient censés générer des bénéfices de plusieurs millions». De longue date, le syndicat dénonce les effets de cette politique sur tous les secteurs de La Poste. «Dans le cas des offices de postes également, une modification de la façon de réaliser les comptes a conduit à un doublement soudain du déficit du réseau postal, puis à des fermetures d’office. Cet usage de la comptabilité de façon stratégique, pour répondre à des objectifs, n’est pas acceptable», dénonce Christian Capacoel, porte-parole du syndicat, qui estime que «les objectifs donnés à La Poste par le politique, tout comme une culture d’entreprise qui priorise le bénéfice doivent être revus».

Le Syndicat autonome des postiers dénonce lui aussi depuis longtemps des chiffres concernant le réseau postal qui seraient «faussés, pour justifier la fermeture d’offices de poste» – ce que La Poste dément – et demande plus de transparence.

Christian Capacoel rappelle que la population ainsi que de nombreux politiques de gauche comme de droite ont manifesté leur attachement au service public postal, notamment à travers la défense d’offices dans les régions. «Seule La Poste n’entend pas ces appels», constate-t-il. Pour lui, une large discussion sur l’avenir du service public postal doit avoir lieu au plus vite aux Chambres fédérales. Celle-ci était attendue après la fin des travaux du groupe de travail créé en août 2017 par la conseillère fédérale Doris Leuthard et chargé notamment d’«élaborer des pistes de solutions pour l’aménagement du réseau postal». Ce groupe de travail doit aussi prendre en compte la motion adoptée par les Chambres en novembre dernier demandant de fixer des règles d’accessibilité différentes en fonction des régions.

«Le problème, c’est que le rythme politique est lent, et pendant ce temps, La Poste continue sa politique de restructuration», dénonce Christian Capacoel. Il espère que le nouveau scandale à CarPostal, en plus de la levée de boucliers que suscitent les fermetures d’offices dans toute la Suisse, accentuera la pression politique sur Doris Leuthard et La Poste afin qu’un frein définitif soit mis à cette restructuration dans l’attente du débat parlementaire. Pour rappel, le syndicat demande un moratoire en ce sens depuis fin 2016.

Une lettre à Doris Leuthard
De fait, selon La Liberté, la commission des transports du national aurait adressé récemment une lettre à Doris Leuthard demandant «un moratoire dans les fermetures d’offices, jusqu’à ce que le groupe de travail qu’elle a institué ait fini de travailler». La commission a également convoqué la direction de La Poste afin de recevoir des explications sur le doublement soudain du déficit du réseau postal suite à un changement de méthode de comptabilité, en 2016. Suite à l’affaire CarPostal, PLR et PS ont quant à eux appelé à un débat lors de la prochaine session parlementaire, qui débute lundi.

Le parlement étant majoritairement à droite, les solutions proposées ne risquent-elles pas d’être décevantes? Christian Capacoel estime qu’il est difficile de faire des pronostics, mais souligne à nouveau que la population ainsi que de nombreux politiques de tous bords ont montré qu’ils tenaient au service public dans le domaine de La Poste. Dans un communiqué diffusé suite à l’affaire CarPostal, le syndicat avertit toutefois que toute solution qui consisterait à se diriger vers une privatisation de certaines activités de La Poste reviendrait à «combattre le poison par le poison. En effet, la situation chez les prestataires privés est pire pour les salariés et il est peu probable que la transparence vis-à-vis du secteur public y soit meilleure», écrit-il.

Du côté de la gauche radicale, Denis de la Reussille, conseiller national popiste, estime lui aussi qu’une discussion large doit être tenue sur «la rentabilité folle demandée à La Poste». Il dénonce cependant certains parlementaires de droite qui s’insurgent contre la fermeture d’offices dans leur région pour ensuite soutenir à tout prix ces exigences de rentabilité. Quant au cas de CarPostal, il considère que «la moindre des choses serait que la directrice de La Poste démissionne, au vu de l’ampleur de la fraude, et en particulier au regard des exigences qui sont faites aux collaborateurs de La Poste». Il soutiendra toute proposition en ce sens.