Quand la violence fait place à la violence

Colombie • La Force alternative révolutionnaire du commun (Farc) et son président, Rodrigo Londoño, candidat à la présidentielle du 20 mai, ont suspendu leur campagne, estimant que leur sécurité n’était pas garantie.

Par Jasmine Pétry

Un an. Le premier anniversaire des accords de paix est bien triste. Assassinats, harcèlements et menaces. De quoi peut-on se réjouir, un an après la signature de ce qui devait être un accord historique pour la Colombie, mettant fin à près de 70 ans de conflit armé? En tout, 18,3% des accords auraient été respectés, sur l’ensemble des 6 points, selon l’Observatoire de suivi et d’implémentation des accords de paix.

A y regarder de plus près, ce pourcentage est surtout à mettre sur le compte de la guérilla, qui a honoré les engagements lui correspondant, à savoir se soumettre à la justice, rendre ses armes et ses biens et fonder un parti politique, la Force alternative révolutionnaire du commun (Farc). Pour le reste, la réforme rurale, la réparation aux victimes du conflit, la garantie de participation politique, la garantie de non‐répétition, la substitution volontaire des cultures de coca, l’amnistie intégrale, la justice spéciale pour juger les crimes de guerre… Rien ou presque n’a été accompli. 600 ex‐membres de la FARC‐EP, bien qu’amnistiés, sont toujours en prison.

23 assassinats en janvier

Dénonciation après dénonciation, il est chaque jour plus évident que l’Etat colombien ne remplit pas ses obligations. Ex-guérilleros et leaders sociaux sont assassinés et font l’objet de menaces de plus en plus fréquentes. Selon les données de l’Institut des études pour le développement et la paix (Indepaz), 23 dirigeants sociaux ont été assassinés en janvier 2018, soit un toutes les 32 heures. Pour 5 d’entre eux, la preuve a été faite de l’implication des forces armées. D’autre part, selon la direction du parti FARC, on compte depuis la signature des accords de paix le 24 novembre 2016, 49 victimes parmi les ex‐guérilleros démobilisés et leurs familles. Les chiffres sont tellement effrayants que l’ONU a dû reconnaître que la situation est alarmante et que les membres du nouveau parti FARC ne bénéficient pas d’une protection suffisante de la part de l’Etat.

L’augmentation des faits de violence contre les mouvements sociaux et l’opposition politique ne cesse de croître au fur et à mesure que se rapproche la date des élections générales, le 11 mars et le 27 mai. Au point que la FARC a suspendu sa campagne électorale cette semaine.

Selon la Défenseure du peuple, entre le 17 et le 20 janvier 2018, plus de 1’000 personnes ont dû fuir dans différentes régions du pays. De plus, 10 personnes ont déjà perdu la vie et 14 autres ont été blessées dans des massacres, et des cas de «faux positifs» (personnes victimes des forces armées, que l’on fait passer pour des membres de la guérilla) ont à nouveau été dénoncés parmi les communautés indigènes, selon l’Organisation nationale des indigènes de Colombie (ONIC).

Le 15 septembre 2016, le président Juan Manuel Santos déclarait: «Nous, en tant que gouvernement, devons respecter nos engagements et garantir la sécurité physique de toute personne qui participe à la vie politique et plus spécifiquement des membres de tout parti politique, y compris du nouveau mouvement politique issu de la transition des FARC‐EP à la vie civile». Quant au massacre commis contre l’Union patriotique, née en 1985 suite à une des nombreuses tentatives de paix entre le gouvernement et la guérilla, le président déclarait: «Je m’engage aujourd’hui solennellement face à vous, à prendre toutes les mesures possibles pour que plus jamais, en Colombie, une organisation politique ne doive revivre ce qu’a connu l’Union patriotique». Aujourd’hui, il y a de quoi s’interroger sur ces engagements.

L’UE a un rôle à jouer
Une autre question se pose à l’Union Européenne, garante du processus de paix. Le 25 janvier, l’UE signait un accord avec le Fonds colombien pour la paix pour l’octroi de 12 millions d’euros dans le cadre du post‐conflit. N’est‐on pas en droit de se demander si ces aides doivent effectivement être versées à un gouvernement qui ne respecte pas ses engagements pour la paix? Le processus de paix était l’occasion de sortir du cycle de la violence dans lequel le pays est enfermé depuis plus d’un demi-siècle. C’était l’occasion de faire de la politique sans les armes. Mais la recrudescence des activités paramilitaires et de la répression exercées par les forces armées met à mal toute tentative de paix. La guérilla FARC‐EP n’est-elle pas née d’un mouvement d’auto-défense des paysans colombiens face à la violence d’Etat?