Le grand rendez-vous des alters à la croisée des chemins

Interview • Bernd Nilles, directeur d’Action de Carême, fait partie des 25 personnalités du monde politique, associatif, syndical et des ONG suisses qui participeront au FSM. Il livre son regard sur les défis auxquels la manifestation fait face, après 17 ans d’existence.

Par Sergio Ferrari, adapté par la rédaction

A 17 ans, le principal espace international de rencontre et de réflexion des acteurs sociaux affronte le défi de sa propre redéfinition et réinvention. En 2001, le contexte international était favorable à la contestation et aux protestations globales. Les années suivantes, la capacité de convocation du FSM déborda toutes les attentes. Dès 2006 toutefois, certains mouvements annoncèrent qu’il n’était pas possible pour eux d’être présents chaque année, compte tenu de leurs propres priorités d’organisation et de mobilisation aux niveaux local et national. Le FSM courait le risque de devenir le rendez-vous des ONG disposant de davantage de moyens financiers et sans pression de combats frontaux.

A partir de là, des signaux ont indiqué l’affaiblissement progressif du FSM. En 2011, les «printemps arabes» ont généré de nouveaux espoirs. Les éditions de 2013 et de 2015 se sont tenues dans la capitale tunisienne. Néanmoins, ces rencontres ne donnèrent pas de réponses organisationnelles pour l’avenir aux interrogations de fond qui se posaient au Forum. Plusieurs mouvements sociaux lancèrent de nouveaux avertissements, sous forme d’ultimatums, quant à la nature et au fonctionnement du Forum. C’est dans le cadre de ces questions existentielles que débute le Forum de Salvador de Bahia. Nous avons demandé à Bernd Nilles son opinion sur le sujet.

Action de Carême a participé dès l’origine au processus du FSM. Quels ont été les principaux apports de cette participation?
Bernd Nilles Cela a toujours été une chance unique de se réunir avec des personnes qui s’efforcent de lutter pour un monde solidaire comme alternative à un monde purement capitaliste. Concrètement, la participation régulière aux FSM a permis d’intensifier notre réseau thématique au niveau global. Elle a aussi facilité la recherche de synergies avec nos organisations partenaires. Elle nous a permis de découvrir des idées innovantes pour la résolution de problèmes concrets; de connaître des avis politiques divergents; de suivre les analyses politiques d’autres acteurs; de planifier des actions en commun à niveau global. Le FSM nous a aussi permis de parler aux médias des injustices globales.

Certains parlent d’un FSM moribond… D’autres continuent à souligner l’importance de cet espace pour la société civile internationale. Quelle est votre opinion?
L’agonie – et le FSM comporte une partie agonisante – peut être considérée comme une phase de vie avec un potentiel pour renaître ou comme une phase de presque mort. Certes, le FSM se trouve dans une situation complexe: soit il réussira en 2018 à capter l’attention du monde médiatique et d’une nouvelle génération, soit il devra admettre que la relation entre l’investissement (les ressources humaines et financières) et l’impact de la rencontre en termes d’actions concrètes qui en résultent ne justifiera plus son maintien. Pour moi, il serait souhaitable que le FSM puisse continuer à être un lieu de rencontre des actrices et acteurs de la société civile permettant de rechercher des synergies dans les luttes politiques pour atteindre plus de justice globale. Je suis convaincu qu’il doit continuer à exister des espaces où nous affirmons qu’«un autre monde est possible» et qu’il faut revendiquer la force centrale du FSM. Bien sûr, nous pouvons discuter la forme et les méthodes. Il serait peut-être important de trouver des moyens pour rendre plus visibles les débats et les résultats du FSM, et de pouvoir vivre son essence, même sans la nécessité de participer à un évènement bisannuel spécifique.

Une réflexion finale?
Il y a toujours, au sein du FSM, deux tendances divergentes: celle qui préconise que le FSM parle d’une seule voix et prenne publiquement, comme tel, des positions politiques. Et celle qui insiste pour reconnaître et donc respecter la diversité au sein de la société civile et qui invite en conséquence à la synergie et à la mise en commun de celles et ceux qui le souhaitent. Action de Carême et notre plateforme européenne CIDSE ont toujours favorisé la seconde tendance, car elle nous semble réaliste. Nous espérons donc que la session de Salvador de Bahia parviendra à réunir des personnes de bonne volonté visant à s’associer pour des luttes différentes en vue d’un autre monde possible qui sera plus juste.

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Collaboration de presse E-CHANGER
avec le soutien de la FEDEVACO