Attaque frontale contre les prestations complémentaires

Suisse • Le conseil national a presque doublé les coupes prévues dans les prestations complémentaires (PC) pour les personnes retraitées ou à l’AI. Tollé à gauche. L’AVIVO se dit déjà prête au référendum.

Entre 2000 et 2016, le nombre de bénéficiaires de prestations complémentaires (PC), ces aides financières accordées aux personnes dont la rente AI ou AVS (et l’éventuel 2eme pilier) ne permet pas de couvrir les besoins vitaux, est passé de 202’700 à 318’600. La faute au « vieillissement de la population, à l’augmentation de l’espérance de vie et à la hausse du nombre de personnes résidant dans un home», selon le conseil fédéral.

Mais c’est aussi, selon lui, l’adaptation d’autres législations – comprendre: la réduction ou non-adaptation de prestations prévues par ces législations – qui a contribué à la progression des dépenses: notamment «les diverses révisions de l’AVS et de l’AI et le nouveau régime de financement des soins (2011)». Christiane Jaquet, présidente de l’association de retraités AVIVO explique quant à elle les choses plus simplement: «Il y a toujours plus de pauvres, notamment parmi les personnes âgées!»

Face à cela, l’objectif affiché de la réforme des PC soumise dernièrement aux chambres fédérales était de «maintenir le niveau des prestations, améliorer l’utilisation de la fortune propre à des fins de prévoyance et réduire les effets de seuil». Concrètement, elle prévoyait cependant 300 millions d’économies et certains médias, emboîtant le pas à la droite, ont rapidement brandi la nécessité de «maîtriser l’explosion des coûts des PC».

Ainsi, si le conseil des Etats avait réduit l’ampleur des coupes prévues, le conseil national, qui traitait du dossier la semaine dernière, s’est empressé de les augmenter, malgré l’opposition de la gauche. «Selon une première estimation, le National souhaite tailler entre 540 et 570 millions de francs», a annoncé Alain Berset à l’issue des débats.

L’AVIVO prête au référendum
«La droite s’en prend, une fois de plus, aux plus faibles. Ainsi, tous les points qui apparaissaient comme positifs ont été rejetés ou fortement édulcorés», critique le PS. Et la conseillère nationale Rebecca Ruiz, de parler de «démantèlement» et de fustiger «des coupes faites sur le dos des gens pour qui cet argent permet à peine de couvrir les besoins vitaux».

L’AVIVO, qui réclamait de longue date une adaptation des PC aux besoins «de plus en plus criants dans notre pays», se dit quant à elle «consternée, déçue et fâchée par les coupes décidées par la majorité du conseil national, plus soucieuse de faire des économies de plusieurs millions que de couvrir les besoins vitaux des plus de 300’000 personnes les plus modestes de notre pays». Pour rappel, selon l’art. 112 al.2 de la Constitution, c’est l’AVS qui devrait couvrir ces besoins vitaux, et les PC existent justement car ce mandat constitutionnel n’est pas rempli. L’AVIVO se dit prête à soutenir avec d’autres organisations un éventuel référendum.

La faîtière des organisations de personnes avec handicap Agile.ch a elle aussi vivement réagit. A gauche, les appels se multiplient pour que le conseil des Etats, à qui le dossier doit retourner, rectifie le tir.

Mais concrètement, quelles sont les mesures décriées? Dans son plan d’économies, le conseil fédéral prévoyait notamment de mettre fin à la possibilité de retirer son 2e pilier en capital lors de l’arrivée à l’âge de la retraite ou pour démarrer une activité indépendante, afin d’éviter le risque de recours ultérieur aux PC. Cela aurait toujours été possible en cas de départ définitif du pays ou pour acheter un logement. Mais le conseil national n’a pas voulu de ces propositions, qui auraient pourtant permis 122 millions d’économies. «Il faut faire confiance à la responsabilité individuelle des retraités», ont argumenté le PLR et l’UDC, tout en décidant tout de même de «punir» les personnes qui décideraient de retirer leur 2eme pilier en diminuant de 10% leurs PC.

De même, les bénéficiaires d’une rente AI ou d’une rente de survivants de l’AVS qui dépenseraient sans motif important plus de 10% de leur fortune par an pourraient voir leurs PC rabotées. Pour les rentiers AVS, un affaiblissement significatif de leur fortune serait pris en compte dans le calcul de leurs PC s’il a eu lieu dans les dix ans qui précèdent le droit à la rente.

Franchise sur la fortune réduite
Le national a également accepté la proposition du conseil fédéral de réduire le montant minimal des PC, qui correspond aujourd’hui au montant de la prime maladie moyenne. L’exécutif proposait aussi d’augmenter la part de fortune prise en compte pour calculer les PC, soit de réduire la franchise de fortune laissée à la libre disposition du bénéficiaire. Celle-ci se monte à présent à 37’500 francs pour une personne seule et à 60’000 francs pour un couple. Le Conseil fédéral proposait d’abaisser ces montants à 30’000 et 50’000 francs, ce que les Etats avaient accepté. Le conseil national, lui, veut encore les abaisser à 25’000 et 40’000 francs. Il a par ailleurs estimé, contre l’avis de la gauche, que les personnes disposant d’au moins 100’000 francs de fortune ne devraient plus avoir droit aux PC.

La proposition du conseil fédéral de prendre en compte l’ensemble du revenu du conjoint qui travaille (contre les 2/3 actuellement) dans le calcul des PC a également été adoptée. Malgré des soutiens à droite, la gauche n’a pas réussi à imposer que seuls 80% de ce revenu, comme le proposaient les Etats, soient déterminants. «Il faut éviter de démotiver le conjoint à travailler», a argumenté le socialiste Angelo Barrile.

Afin de prévenir «l’immigration indésirable» dans le système de sécurité sociale, la majorité du conseil national a encore introduit une durée de cotisation minimale de dix ans en Suisse avant l’accès aux PC. «Il y a déjà un délai de carence pour les étrangers. Cela entraînera un report de charge vers les cantons et l’aide sociale», a objecté le conseiller fédéral Alain Berset. Le National a aussi décidé de raboter les montants censés couvrir les besoins vitaux des enfants en bas âge et dès le deuxième enfant.

Les loyers pas beaucoup mieux pris en charge
Enfin, l’exécutif proposait de permettre au canton de prendre en compte la prime maladie effective et non pas la prime moyenne du canton au moment de calculer le droit aux PC, pour autant que la première soit inférieure à la seconde. Divisé, le conseil national a décidé de laisser aux cantons le soin de fixer le montant déterminant de la prime. «Cela risque de pousser les cantons à prévoir des montants trop hauts ou bas, rendant certains plus attractifs que d’autres», a critiqué la socialiste Rebecca Ruiz.

Le projet prévoyait tout de même un élément positif et attendu de longue date: relever les montants de loyer pris en charge, afin de faire face à la hausse générale des prix des logements. Le national a toutefois amputé cette amélioration en la réservant aux seules personnes vivant en zone urbaine et en limitant l’augmentation du montant pris en compte. Le national a également renoncé à réduire les subsides fédéraux visant à réduire les primes maladie. «Il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore», a averti la PDC Barbara Schmid-Federer.

(avec l’ATS)