Bilan positif pour le Forum social mondial

Altermondialisme • Le Forum social mondial s’est clôturé samedi dernier à Salvador de Bahia. Avec pas moins de 80’000 participants, le bilan est positif, malgré les contextes mondial et brésilien défavorables.

Près de 2000 ateliers répartis en 19 axes thématiques ont eu lieu pendant les 4 jours du forum (photo: Sergio Ferrari).

Pas moins de 80’000 participants ont assisté aux divers ateliers (près de 2000, répartis en 19 axes thématiques) durant les 4 jours qu’a duré le FSM. On peut parler de réel succès et cela montre aux plus sceptiques que ce grand rassemblement des altermondialistes garde tout son sens.

C’est d’autant plus vrai qu’il y a encore quelques mois, la tenue de ce FSM n’était pas garantie. La dernière édition, en 2016 à Montréal, n’avait rassemblé «que» 30’000 participants. Le Canada avait montré à cette occasion que, contrairement à ce que l’on croit habituellement, sa politique de migration est très restrictive. De nombreux représentants des mouvements sociaux et de la société civile du Sud n’avaient en effet pas pu assister au FSM, faute de visa. On voulait nous faire croire à un essoufflement du mouvement altermondialiste: il a pourtant répondu à l’appel de Salvador de Bahia, où les organisateurs ont mis une énergie incroyable en très peu de temps pour assurer la logistique de l’événement.

Ambiance plus sérieuse et travailleuse
Certes, l’ambiance était peut-être moins joyeuse que lors des premiers FSM entre 2001 et 2005, où l’altermondialisme était porté par une société civile très forte au Brésil, soutenue par le gouvernement de Lula, que naissait l’Etat plurinational de Bolivie, que l’ancien prêtre Ferando Lugo, proche de la théologie de la libération, arrivait au pouvoir au Paraguay, que l’Equateur, sous l’impulsion de Correa, développait un projet de gouvernance populaire, sans oublier le Venezuela, mené par Chavez et son socialisme du 21ème siècle. Il y avait une certaine jubilation à voir les utopies se concrétiser.

Au FSM de 2018, de retour en Amérique latine après 9 ans, l’ambiance était plus tendue, sérieuse, travailleuse et marquée par la résistance: l’ennemi néolibéral a regagné du terrain et la régression sociale en Amérique latine était sur toutes les bouches. Il faut dire qu’en toute impunité, et avec la bénédiction de l’Organisation des Etats Américains (OEA), des coups d’Etats parlementaires se sont déroulés au Brésil, au Paraguay et au Honduras. Le Venezuela, lui, traverse une crise économique et politique qui fait vaciller le gouvernement de Maduro et la droite gagne du terrain au Salvador et se renforce en Colombie, comme on a pu le voir lors des récentes élections.

L’ambiance n’est pas à l’euphorie, mais les différents mouvements sociaux d’Amérique Latine ont démontré, dans les différents ateliers, leur force et leur détermination à défendre le droit à la terre, à lutter contre la déforestation (qui n’a plus de frein au Brésil depuis l’arrivée de Temer au pouvoir) ou contre les multinationales qui cherchent à accaparer l’eau, la terre, et à exploiter les ressources minières, même au prix de la santé et de la vie des populations locales. Nous avons aussi pu expliquer combien cette lutte était la nôtre, comme en témoigne notamment toute la discussion sur «l’initiative pour des Multinationales Responsables», qui sera soumise au vote de la population suisse, ou notre volonté de soutenir les mouvements sociaux, comme le Mouvement Sans Terre (MST), soit par l’échange de personnes ou de soutien financier et technique direct. D’autres membres de la délégation suisse, emmenée par l’ONG suisse E-Changer, ont pu nouer des liens ou les renforcer lors de ce forum, parce que leurs partenaires de pays voisins ou du Brésil étaient aussi présents. Ce FSM a été marqué, peut-être plus que les autres, par le sceau de la solidarité entre toutes les forces qui luttent pour un changement social.

Du hacker éthique à l’agriculteur biologique
Mais il a aussi été, en plus du réseautage essentiel qui se fait en coulisses, l’occasion pour beaucoup de partager leurs utopies créatrices de part et d’autres des continents: comprendre comment chacun trouve localement des failles dans le système dominant pour mettre en place des alternatives: cela va des hackers éthiques aux modèles d’auto-construction de maisons, en passant par l’agriculteur biologique qui défend des semences traditionnelles, pour ne citer que quelques initiatives.

Deux faits marquants encore: la présence des femmes non seulement dans des ateliers qui touchaient à leurs droits mais aussi dans les panels de discussion où, apparemment, la parité était largement atteinte, mais aussi des jeunes, très présents surtout dans des discussions autour de nouveaux paradigmes ou dans des projets alternatifs concrets qu’ils expérimentent et dont ils viennent parler avec enthousiasme dans l’espoir de les multiplier.

Enfin, de nombreux ateliers tournaient autour de la monnaie et ses dérives, postulant la nécessité de démonétariser un certain nombre de domaines à l’heure où, avec la complicité des multinationales, les Etats veulent tout libéraliser au nom du libre commerce.

Un contexte brésilien tendu
Il faut encore rappeler que ce FSM s’est déroulé dans un Brésil, qui vit depuis 18 mois une crise politique grave et une régression sociale importante. Cela s’est senti «en toile de fond». Le jour de l’ouverture, Marielle Franco, conseillère municipale de Rio de 38 ans, fortement engagée contre la militarisation de cet Etat sous couvert de lutte contre la criminalité, a été assassinée froidement alors qu’elle rentrait chez elle en voiture. Par ailleurs, Lula, dans un acte politique en marge du FSM, est venu confirmer qu’il continuerait sa campagne pour les élections présidentielles et qu’il «était prêt à lutter pour le peuple brésilien jusqu’à la dernière goutte de son sang». «Ils veulent me mettre en prison, mais ce sont les programmes tels que Hambre Zero dont ils veulent se débarrasser», a-t-il affirmé, se référant à son programme qui a permis de sortir plus de 20 millions de Brésiliens de l’extrême pauvreté depuis 2003.

On peut toujours espérer plus d’un FSM, mais, de même qu’un congrès professionnel, il reste avant tout un lieu d’échange de pratiques, qui permet ensuite à chacun de faire mieux son travail, et une occasion de se rencontrer pour ensuite continuer à collaborer à distance. C’est aussi une possibilité de renforcer sa conviction qu’ «un autre monde est possible» et nécessaire, alors que la pensée dominante et les «médias de grande circulation», tentent de persuader tout un chacun que l’ordre actuel est inéluctable. C’est enfin un moment particulier pour s’imprégner de la réalité d’un pays ou d’une région.