Erdogan veut envahir tout le Kurdistan syrien

Turquie • Recep Tayyip Erdogan ne cache pas son intention de mettre au pas tout le couloir kurde en Syrie qui va d’Afrin à Qamichli, voire au Kurdistan irakien (par Pierre Barbancey, paru dans L’Humanité).

Voir également notre article « Afrin, nouveau Munich de l’Europe« 

Depuis dimanche 18 mars, jour de l’entrée de l’armée turque et de ses supplétifs à Afrin, la ville est le théâtre de scènes de pillage. Des correspondants de l’AFP ont vu des magasins saccagés, des combattants chargeant pêle-mêle dans des pick-up cartons de nourriture, chèvres, couvertures, et même des motos empilées les unes sur les autres, avant de quitter la ville. Des milices pro-turques ratissent les rues. Elles ont marqué sur la devanture des boutiques et les façades des maisons le nom de leur faction. Près de 250’000 personnes ont été poussées à l’exil et ont trouvé refuge dans des villages souvent contrôlés par l’armée nationale syrienne.

«Il y a une responsabilité morale pour la communauté internationale face à une agression injustifiée et illégale, dénonce Khaled Issa, représentant en France du Kurdistan syrien (Rojava). Ce qui se passe à Afrin est un nettoyage ethnique, et les grandes puissances restent spectatrices. Nous sommes frustrés de voir que les mêmes combattants qui luttaient courageusement contre Daech sont laissés à la merci de l’armée turque alliée aux djihadistes et lâchés sous les bombes d’Ankara. La Turquie ne va pas s’arrêter avec Afrin.» Il pointe du doigt notamment les dangers qui pèsent désormais sur la ville de Manbij, à 97 kilomètres à l’est d’Afrin.

«Rameau d’olivier» bis?
Les dernières déclarations turques semblent lui donner raison. «Ce que nous disons est très clair. Nous ne sommes pas là-bas pour rester, et absolument pas pour occuper», a cru bon déclarer le vice-premier ministre turc, Bekir Bozdag, sans toutefois avancer de calendrier pour le retrait des forces qui y sont déployées et ont hissé le drapeau turc.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a été encore plus clair. «En prenant dimanche le contrôle de la ville d’Afrin, nous avons laissé derrière nous l’étape la plus importante de l’opération baptisée “Rameau d’olivier”, a-t-il dit. Maintenant, après (Afrin), nous allons poursuivre ce processus jusqu’à la destruction totale de ce corridor constitué de Manbij, Aïn al-Arab (nom arabe de Kobané), Tal Abyad, Ras al-Aïn et Qamichli (à proximité du Kurdistan irakien, ndlr).» Il a même évoqué une possible opération dans le nord de l’Irak, si le gouvernement central à Bagdad tardait à agir contre les éléments du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui y disposent de bases arrière et de camps d’entraînement. «Si vous devez le faire, faites-le. Si vous n’êtes pas en capacité de le faire, alors, une nuit, nous pourrons soudainement entrer dans la province du Sinjar dans le nord-ouest de l’Irak, pour le nettoyer du PKK, a assuré Erdogan. Nous l’avons déjà dit au gouvernement central irakien. Si cette affaire traîne davantage, alors il y aura un nouveau “Rameau d’olivier” là-bas.»

En réalité, en intervenant de la sorte, Ankara change totalement la situation sur le terrain. Le canton d’Afrin est en effet limitrophe de la région d’Idleb, elle-même frontalière avec la Turquie, contrôlée par plusieurs groupes armés, la plupart islamistes et les plus puissants affiliés à l’ex-Front al-Nosra (al-Qaida en Syrie).

Chaque pays cherche son intérêt propre
C’est dans cette région qu’ont trouvé refuge les combattants évacués d’Alep-Est, de Homs et bientôt de la Ghouta orientale. Il est donc à prévoir que les convois d’armes vont passer encore plus facilement pour équiper les islamistes et autres djihadistes qui disposent déjà, en Turquie, d’une base de retrait. Les blessés y sont notamment soignés et des troupes formées. Par la force des armes et son soutien à ces groupes qui accueillent également dans leurs rangs des djihadistes de Daech, Erdogan s’est donc imposé comme un acteur incontournable de la crise syrienne et de son dénouement.

Que va maintenant faire la communauté internationale? C’est toute la question. Chaque pays cherche son intérêt propre. Les divergences se creusent, par exemple entre la Russie, l’Iran et Damas. Par ailleurs, en cas d’avancée turque vers Manbij, que vont faire les Etats-Unis, qui y ont des soldats stationnés? Le statut de membre de l’Otan de la Turquie, d’un côté, son rapprochement avec la Russie, de l’autre, semblent la protéger contre toute mesure de rétorsion.