Une large contestation est en marche

France • La SNCF se mettra en grève deux jours sur cinq dans les 3 mois à venir, pour protester contre le démantèlement de l’entreprise publique. De nombreux autres secteurs sont également mobilisés, explique Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. (Par Marion d’Allard et Clothilde Mathieu, paru dans l’Humanité, adapté par la rédaction)

«Plutôt qu’un mot d’ordre global, nous proposons à tous de se mobiliser sur la base de leurs propres revendication», souligne Philippe Martinez. (photo: Pascal.Van)

article initial et complet paru dans l’Humanité

Mobilisation à la SNCF contre la réforme de la régie par le gouvernement Macron, qui menace le statut de l’entreprise publique, celui des cheminots, exige un «alignement des coûts de la SNCF sur les standards européens» et veut «organiser l’ouverture à la concurrence» du réseau domestique. Mais pas seulement: mobilisation des fonctionnaires pour préserver leur statut, mouvements sociaux aux urgences, grogne des contrôleurs aériens et du personnel d’Air France. Face à cette situation, le secrétaire général de la CGT en appelle à une journée d’action interprofessionnelle le 19 avril, «afin de faire converger les mobilisations à partir des diverses revendications». Entretien.

La CGT a appelé à une journée d’action interprofessionnelle le 22 mars dernier. Une autre aura lieu le 19 avril prochain. Pourquoi une telle initiative?
Philippe Martinez Depuis le mois de janvier, l’idée d’une journée d’action interprofessionnelle était dans les tuyaux. La réussite de la manifestation du 22 mars, à laquelle s’ajoute une multitude de mobilisations chez Air France, dans le secteur de l’énergie, dans les grosses entreprises de la métallurgie, à l’image de Ford, ou encore dans la distribution comme chez Carrefour ou chez Pimkie, nécessite une convergence. Les salariés la demandent. D’autant que les mobilisations ont démarré bien avant le 22, avec celles des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et des retraités. De mémoire, cela fait très longtemps qu’on n’avait pas vu autant de retraités dans la rue que le 15 mars. Les mouvements dans la fonction publique pénitentiaire, ou encore à La Poste, dont on ne parle pas beaucoup, en témoignent aussi. J’étais le 23 mars à Rennes, les postiers du bureau Crimée en étaient à leur 74e jour de grève. Des cas similaires ont eu lieu dans l’Aveyron, à Tarbes… Il y a beaucoup de luttes.

L’automne dernier, ce type de mobilisation n’a pourtant pas été très suivi…
On a analysé les deux mouvements de 2016 et 2017. Ces derniers ne concernaient que le Code du travail, ce qui n’a pas permis de mobiliser largement les fonctionnaires, moins concernés. Mais les agents de la fonction publique se battent pour leurs emplois, leurs salaires, leurs statuts. Il faut partir des réalités du monde du travail. Et, plutôt que de globaliser et de donner un mot d’ordre, nous proposons à tous de se mobiliser sur la base de leurs propres revendications pour qu’ils agissent ensemble en même temps. Des débats existent à ce sujet au sein de la CGT et au-delà, mais c’est en tout cas ce que les salariés demandent. C’est un peu nouveau. Aujourd’hui, nous devons faire du cousu main. En 1968, c’est parti comme cela. Il n’y a pas eu d’appel général à la grève, mais un enchaînement de mobilisations qui ont convergé. Le patronat avait le même discours qu’aujourd’hui, or, des avancées sociales énormes se sont produites pour le monde du travail.

Concernant les cheminots, l’appel à une grève «perlée» à partir du 3 avril de deux jours sur cinq sur trois mois provoque de fortes réactions de la part de la direction de la SNCF et du gouvernement, moins chez les usagers. Elle a par ailleurs suscité des échos très positifs parmi les cheminots. Est-ce cela, le «cousu main»?
Cette forme de lutte à échéance régulière, que l’on connaît déjà par exemple dans l’énergie ou chez Air France, est inédite chez les cheminots. Cela montre la détermination de la profession, tout en permettant à toutes les catégories de personnel de s’inscrire dans le mouvement. Certains peuvent «choisir leur date». Je pense à l’encadrement très en colère mais qui, vu les pressions qui s’exercent de la part de la direction, n’a pas toujours la faculté de participer à un mouvement. Cela permet également de garder le contact avec les usagers et de pouvoir faire le point régulièrement avec eux. Nous sommes censés les voir trois jours sur cinq. Dans le passé, le gouvernement et la direction de la SNCF ont joué sur cette opposition entre usagers et grévistes dans les services publics, mais là on atteint les sommets en termes de mensonges, d’insultes. Le PDG de la SNCF a tout de même parlé de «sabotage». Or, depuis le début du mouvement, les expériences montrent que le contact avec les usagers est intéressant. Je me suis déplacé à Gap, mais aussi à Nice. J’ai passé trois heures à la gare, nous avons distribué 2’500 tracts. L’accueil est bon. On parle du changement de statut de l’entreprise et des problèmes des usagers car, contrairement à ce qui est dit, le statut des cheminots n’est pas la cause des problèmes de la SNCF.

Du côté opposé de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon propose d’organiser des marches le week-end, Benoît Hamon veut faire le tour des petites gares, et le PCF cherche à sensibiliser les usagers sur les dangers de la réforme ferroviaire. Le 22 mars, toute la gauche était présente au défilé. Comment percevez-vous ces initiatives politiques?
Les soutiens sont toujours les bienvenus. Même le Parti socialiste était présent, mais nous n’avons pas la mémoire courte. Concernant la SNCF, le gouvernement précédent a œuvré en acceptant l’ouverture à la concurrence. Gouvernement auquel appartenait Emmanuel Macron. Ils ont un passif. Le dialogue avec les usagers et les élus est bon à prendre. Quant à la temporalité des manifestations, même si nous n’écartons aucune mobilisation, nous savons aussi que beaucoup de salariés souhaitent agir par la grève. Vouloir le faire le samedi et le dimanche ne concerne qu’un petit nombre d’entre eux. Laissons pour l’instant les organisations syndicales gérer le calendrier des mobilisations sociales, et nous verrons plus tard s’il est opportun de décider de se mobiliser le week-end.

A l’aube du 50e anniversaire de Mai 68, pensez-vous qu’un grand mouvement social peut, non seulement exister, mais être populaire?
Il est évident qu’un large mouvement social de contestation peut avoir lieu. Pour autant, les réalités du monde du travail sont différentes aujourd’hui. Des intérimaires, des contractuels, il n’y en avait pas beaucoup en 1968. Dans les entreprises, tous les salariés, quasiment, avaient le même statut. Nous devons travailler à élargir le mouvement dans les réalités du monde actuel. La question qui nous est désormais posée, aux syndicats mais également aux forces politiques, c’est de rassembler une majorité de mécontents et de montrer qu’il existe une alternative aux projets gouvernementaux. Nous travaillons, à notre niveau, à une alternative sociale, entre autres en proposant une réduction du temps de travail. En 1968, même si la droite a remporté les élections qui ont suivi, il y avait une véritable effervescence d’idées. Et l’existence d’une alternative, qu’elle soit sociale ou politique, joue sur la capacité de mobilisation. Si les salariés ne la perçoivent pas, cela peut avoir des traductions politiques profitables à des forces comme le FN.