PF17, copie conforme de la RIEIII

Suisse • Le Projet fiscal 17 se présente comme une copie presque conforme de la RIEIII, refusée par près de 60% de la population en février 2017. La gauche estime que ce rejet n’a pas été suffisamment pris en compte dans le nouveau projet.

Mercredi, les syndicats SSP et SIT ont réalisé une action à Genève pour dénoncer la réduction des prestations sociales, du système de santé ou encore de la formation qu’engendrerait la RIEIII. (Photo: Carlos Serra)

Le 21 mars dernier, le Conseil fédéral a adopté le message relatif au Projet fiscal 17, nouvelle version de la défunte RIEIII, rejetée par la population en février 2017. Présenté comme «un compromis équilibré», il n’introduit en réalité que peu de changements par rapport à la RIEIII et provoque à peu près autant de réactions à gauche.

Pour rappel, la RIEIII résultait de la nécessité, sous la pression de l’OCDE et de l’UE notamment, de mettre fin aux statuts fiscaux spéciaux dont bénéficient les holdings et multinationales dont le siège se trouve en Suisse. De peur de voir partir ces entités qui rapportent plus de 5 milliards de francs aux finances publiques selon la Confédération, elle introduisait une série d’outils nouveaux leur permettant de réduire leurs impôts, laissant encore aux cantons la liberté de baisser leur taux d’imposition ordinaire des bénéfices de toutes les entreprises. Autant d’éléments qui figurent toujours au programme. Seuls changements, la quantité d’instruments de baisse fiscale a été légèrement réduite, et de maigres compensations ont été ajoutées.

De faibles compensations
La possibilité de déduction des intérêts notionnels, qui avait essuyé les plus vives critiques, a ainsi été retirée du projet. Deux autres instruments permettant aux sociétés de réduire leurs impôts sont en revanche maintenus: la patent box, qui permettra des déductions sur les revenus des brevets jusqu’à 90%, et la déduction des frais de recherche et de développement à hauteur de 150%. Mais les allégements fiscaux totaux obtenus grâce à ces instruments ne devront pas dépasser 70% du bénéfice imposable au total, contre 80% pour la RIEIII.

Au chapitre des compensations, l’imposition partielle des dividendes est augmentée à 70% au niveau fédéral et «au moins 70%» au niveau cantonal (contre 50 à 60% actuellement). La mesure figurait dans la RIEIII initiale, mais avait été rejetée par le parlement. Le relèvement de 17% à 21,2% de la part des cantons au produit de l’impôt fédéral direct (IFD) est quant à lui maintenu. Enfin, une hausse de 30 francs des allocations familiales est prévue. Au total, les pertes fiscales induites sont estimées à 920 millions pour la confédération (contre 1,4 milliard pour la RIEIII) et à plus d’un milliard pour les cantons.

Une réforme «pas sensiblement meilleure» que RIEIII
Une réforme «pas sensiblement meilleure» que la RIEIII, a réagi le PS, qui exige une augmentation de l’imposition des dividendes et au moins 50 francs de hausse des allocations familiales. «Aussi longtemps que la classe moyenne devra payer l’addition à la place des grosses multinationales, la population ne se rangera pas derrière cette réforme. L’échec cinglant essuyé par la RIE III l’a amplement démontré», commente la conseillère nationale Ada Marra.

La faîtière Travail.Suisse considère elle aussi que le projet «doit mieux tenir compte du fort rejet de la RIE III, en limitant davantage les pertes fiscales et en faisant plus contribuer l’économie». Elle propose notamment d’imposer les dividendes à 100% dans les cantons (situation qui prévalait jusqu’en 2008), d’augmenter les allocations familiales à 60 francs, un congé paternité de 20 jours et des «mesures de compensation sociale dans les cantons qui baissent leur taux d’imposition des bénéfices des entreprises selon le modèle du canton de Vaud».

L’Union syndicale suisse (USS) estime quant à elle que ces baisses planifiées dans les cantons, «subventionnées par la hausse de la part cantonale au produit de l’IFD, sont de l’argent jeté par la fenêtre. Les principaux bénéficiaires en seront des entreprises comme les grandes banques qui paient aujourd’hui sans se plaindre leurs impôts ordinaires sur le bénéfice (…) Si la part cantonale à l’IFD est relevée, cet argent doit être utilisé à des fins sociales». Par ailleurs, l’USS «attend des cantons qu’ils corrigent leurs projets de baisses excessives des impôts sur les entreprises».

Zoug ou Lucerne pataugent
De fait, ces derniers, qui pourtant n’abritent de loin pas tous des sociétés à statuts spéciaux, rivalisent en annonces de baisses fiscales. A l’image de Neuchâtel, qui pourtant subit de plein fouet les conséquences d’une première réforme qui a porté sa fiscalité des entreprises de 22,2 à 15,6%. Faut-il rappeler aussi que du côté de Zoug, Schwytz et Lucerne, premiers de classe en matière de dumping fiscal, on se débat également avec des trous béants dans les finances publiques?

Du côté de l’Union des villes suisses, on salue un projet «globalement positif», mais des garanties que les villes et les communes soient associées aux mesures de compensation de la Confédération sont demandées. A droite, et sans surprise, on s’oppose à la hausse de l’imposition des dividendes, de même qu’à l’augmentation de 30 francs des allocations familiales, sous le prétexte grotesque que cela «contredirait le fédéralisme».

Recentrer les termes du débat
De toute évidence, le nouveau PF17 est encore loin d’être adopté. Mais surtout, force est de constater que la question de savoir si les entreprises à statuts spéciaux s’en iraient réellement en cas de hausse de leur taux d’imposition ne fait même plus débat. Pas plus que l’objectif affiché de la réforme, qui consiste à «garantir l’attrait de la Suisse» grâce à une fiscalité ultra-basse et uniquement par ce moyen.

Alliance sud, qui regroupe les principales ONG suisses de coopération au développement, rappelle à ce titre utilement que «l’optimisation fiscale sous forme de transferts de bénéfices de multinationales fait perdre 200 milliards de dollars par an aux pays en développement» et qu’«avec sa politique parasitaire de fiscalité pour les entreprises, notre pays contribue à priver les pays en développement d’investissements absolument indispensables dans la formation, la santé, le social et les infrastructures». La Suisse a d’ailleurs récemment été sévèrement rappelée à l’ordre pour cette politique fiscale par l’expert de l’ONU Juan Pablo Bohoslavsky, rappelle l’organisation. Au départ, c’est d’ailleurs bien pour cela que les statuts fiscaux spéciaux suisses étaient pointés du doigt à l’international.