Pierre-Noël Giraud, un économiste en lutte contre les logiques néolibérales

La chronique de Jean-Marie Meilland • L'économiste français Pierre-Noël Giraud propose des pistes pour résoudre les déséquilibres entre le Nord et le Sud. Il s’est aussi penché sur la question de l’emploi et contrant la logique d’une robotisation compensée par un revenu minimum, il appelle à des politiques de maintien des places de travail.

P.-N. Giraud se livre à une réflexion sur les moyens d’éviter la multiplication des chômeurs et des précaires dans le contexte de la mondialisation et sur la façon de maintenir et créer des emplois, notamment industriels. (photo: pixabay)

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Pierre-Noël Giraud est un économiste français qui a présenté ces dernières années des vues d’une grande originalité. Même si l’on peut critiquer certaines de ses positions (j’en dirai quelques mots à la fin), il propose des pistes pour résoudre les déséquilibres entre le Nord et le Sud. Il s’est aussi penché sur la question de l’emploi et contrant la logique d’une robotisation compensée par un revenu minimum, il appelle à des politiques de maintien des places de travail. Je vais présenter un résumé de ses positions sur ces deux problèmes.

Concernant les rapports entre le Nord et le Sud, Pierre-Noël Giraud, dans L’inégalité du monde, Economie du monde contemporain, conseille d’établir une balance entre l’intérêt des pays riches à maintenir des emplois stables et l’intérêt des pays pauvres à connaître un vrai développement. Pour y parvenir, il faut selon lui taxer les importations des pays pauvres pour éviter une partie des fermetures des fabriques (de vêtements, de chaussures, de porcelaine, etc.) des pays riches. Ainsi, en admettant qu’une paire de chaussures soit vendue 25 Fr. par un pays moins développé, le pays riche pourrait imposer une taxe équivalente sur le produit. Si le prix moyen des paires de chaussures fabriquées dans le pays riche est de 60 Fr., la taxe qui porte le produit étranger à 50 Fr. permettra à un certain nombre d’entreprises du pays de rester concurrentielles et de conserver des emplois.

Mais les pays pauvres ne sont pas oubliés. Les pays riches leur reverseraient le produit des taxes pour qu’ils achètent auprès d’eux des biens d’équipement. Certes les pays riches y trouveraient leur compte en remplissant les carnets de commandes d’autres secteurs industriels, mais les pays pauvres seraient aussi largement bénéficiaires, car un décollage économique moins dépendant de l’étranger, fondé sur des bases plus solides, serait à leur portée. Les paires de chaussures non exportées vers les pays riches seraient écoulées dans le pays producteur ou dans des pays voisins de niveau de développement égal. Ainsi, alors que des emplois divers et mieux payés seraient maintenus dans les pays riches, les pays pauvres développeraient leurs propres industries et ne seraient plus condamnés au seul rôle de pourvoyeurs de produits à basse valeur ajoutée. Le commerce se ferait au bénéfice de tous, pour le développement de chaque pays et non seulement pour celui des plus puissants.

Dans L’Homme inutile, Du bon usage de l’économie, P.-N. Giraud se livre à une réflexion sur les moyens d’éviter la multiplication des chômeurs et des précaires (qualifiés d’«inutiles») dans le contexte de la mondialisation. Il se fonde sur la distinction entre emplois nomades et emplois sédentaires. Dans les premiers, plus sensibles à la mondialisation, on range la grande majorité des emplois industriels (on peut fabriquer n’importe où des téléphones ou des vêtements) et un bon nombre des emplois de services (on peut engager n’importe où des comptables). Les seconds rassemblent les emplois qui sont liés à un territoire, comme ceux de la construction, mais aussi ceux des services publics et des services à la personne. Pour l’économiste français, l’objectif doit être actuellement de maintenir dans tous les pays un nombre suffisant d’emplois nomades aussi bien que sédentaires.

Poursuivant dans la logique de rééquilibrage adoptée par l’ouvrage précédent, il préconise que les pays émergents se recentrent sur leur marché intérieur et accroissent leur demande en biens sédentaires, ce qui permettrait à l’Europe et aux Etats-Unis d’augmenter chez eux le nombre d’emplois nomades en se réindustrialisant, et à l’Afrique d’entamer un développement industriel créant de nombreux emplois nomades. Concrètement, ce rééquilibrage doit passer par une restriction de la liberté de circulation des biens, services et capitaux pour les grandes firmes globales.

S’il est important de maintenir ou de créer des emplois industriels et de «relocaliser» en vue d’emplois sédentaires, P.-N. Giraud ne défend pas pour autant le protectionnisme, qui aurait pour effet de diminuer le nombre des emplois nomades, mais aussi d’appauvrir les pays. Pour la France, la sortie de l’euro n’est pas à exclure, mais n’apparaît pas comme nécessaire. Le but déclaré étant le maintien d’emplois dignes de ce nom, l’auteur rejette l’idée du revenu minimum.

A une question sur ce thème il a répondu: «Je trouve que c’est une façon de baisser les bras et de ne pas prendre le problème à la racine. A première vue, cette idée paraît d’autant plus sympathique qu’il s’agit d’une des rares propositions politiques nouvelles de ces dernières années. Mais en fait, le revenu universel entérinerait l’inutilité économique. Or, je pense que nous avons besoin d’être utiles aux autres pour vivre.»

Les mesures décrites par Pierre-Noël Giraud seraient sans doute des plus utiles. Permettant un décollage des pays peu développés, elles mettraient fin à leur situation néocoloniale et à leur pauvreté. Ce serait un moyen de diminuer l’afflux constant de réfugiés économiques contraints à émigrer vers nos pays, parfois dans des conditions tragiques. Permettant le maintien dans le Nord de secteurs à moindre valeur ajoutée, elles pourraient aussi atténuer les problèmes du Nord qui, avec la disparition de nombre d’activités industrielles, connaît dans bien des pays les fléaux du chômage et de l’exclusion.

On peut certes critiquer l’hésitation de P.-N. Giraud quant aux moyens politiques à mettre en œuvre pour appliquer son programme. Un autre point contestable est son biais productiviste, quand il prévoit pour l’Afrique un développement qui reproduira l’exploitation des premiers temps de l’industrialisation en Occident et en Chine: une vue progressiste et décroissante ne doit-elle pas encourager d’autres voies de développement?

Ces réserves émises, à l’ère du découragement face au néolibéralisme et à la panne de projet qui frappe souvent la gauche, lire P.-N. Giraud semble relever de l’urgence.