Unifier le canton par la réduction de prestations?

Neuchâtel • Le programme de législature 2018-2021 du conseil d’Etat affiche des objectifs plutôt contradictoires. Il veut notamment «offrir aux personnes fragiles un soutien ciblé et des perspectives», tout en réduisant prestations et subventions.

Le programme de législature 2018 – 2021 du conseil d’Etat est actuellement examiné attentivement par les partis politiques, en vue d’une prochaine discussion au Grand Conseil. Un survol du document permet d’en discerner les axes fondamentaux. En un mot, le Conseil d’Etat poursuit avec grande constance sa politique basée sur la croyance en une croissance économique éternelle, au détriment de l’action sociale, tout en affichant toujours son ambition de rassembler tous les habitants du canton.

Un petit condensé de quelques propositions illustre les propos de ce rapport et l’état d’esprit de ceux qui l’ont rédigé. Nous y avons du reste relevé certaines contradictions.

Théorie versus pratique

Tout d’abord, le Conseil d’Etat affirme que «le Canton de Neuchâtel doit unir toutes ses forces pour retrouver une dynamique de prospérité. Cela implique que le développement doit être porté par l’ensemble de la population et toutes les régions. En retour, tous les acteurs doivent bénéficier des retombées positives induites. Ainsi, pour être couronnée de succès, une politique de prospérité doit être conçue comme un moyen de renforcer la cohésion, en surmontant les clivages régionaux et les fractures sociales». «Nous voulons lutter contre la fracture sociale», affirme encore le Conseil d’Etat. De bien nobles objectifs.

Mais qu’en est-il de la pratique? Là, on déchante quelque peu, puisqu’il s’agit notamment d’«optimiser le fonctionnement des entités publiques et réduire certaines prestations». «Ce sont (…) les grandes agglomérations du pays qui concentrent les plus fortes dynamiques de développement», peut-on encore lire. Le principe de concurrence semble guider les propositions du gouvernement. Il écrit ainsi que «l’agglomération du Littoral ne pointe aujourd’hui qu’en 18e position au niveau national (6e romand), tandis que l’agglomération des Montagnes est au 29e rang (22e si l’on inclut la partie française). En concrétisant l’agglomération unique, notre canton se placerait au troisième rang romand et intégrerait le top 10 national». Voilà qui semble éclairer la concentration sur le Littoral des principaux moteurs de développement.

Le Conseil d’Etat insiste encore en soulignant qu’il veut stimuler «des collaborations horizontales et verticales impliquant les pôles urbains pour impliquer l’ensemble du territoire dans une dynamique de prospérité» et que «l’union des forces est un aspect essentiel au succès». Nous constatons cependant qu’il ne propose pas une fiscalité unique pour le canton, afin que chacun puisse bénéficier des bons résultats des régions en expansion et que cette «union des forces» devienne une réalité!

Emportés par leur lyrisme, les «sages» du Château écrivent que «la responsabilité collective doit offrir aux personnes fragiles ou en difficulté un soutien ciblé et des perspectives». Ils se donnent ainsi pour objectif de ramener le taux de chômage et d‘aide sociale dans la moyenne romande. Ils veulent aussi donner un «appui aux initiatives visant le maintien d’une offre de commerces et services de proximité». Comme cela a été fait dans le dossier hospitalier?

Réductions de prestations au programme

Pour atteindre ses nobles objectifs, le rapport prévoit de «regrouper et spécialiser les prestations publiques», ce qui semble pour le moins contradictoire avec une volonté de renforcer la proximité! La justification: «Neuchâtel est un canton de taille modeste, qui ne peut offrir à ses citoyens-ne-s un accès à des prestations de qualité qu’en regroupant ses forces (…)».

Les autres propositions pour «unifier le peuple neuchâtelois» passent par l’optimisation du fonctionnement des entités publiques et la réduction de certaines prestations, la limitation des subventions aux institutions, le fait d’envisager de nouvelles externalisations, et, pour les personnes qui ont déjà subi d’importantes réductions des prestations auxquelles elles ont droit, la garantie que les baisses se poursuivront malgré tout, car la facture sociale reste excessive. On lit en effet, en conclusion de ce grand effort de rassemblement de tous les Neuchâtelois, que si la Confédération ne change pas sa répartition des subventions, «notre canton devra se résoudre, comme d’autres l’ont fait ces dernières années, à abaisser significativement les prestations qui relèvent de sa compétence».

Concernant les recettes, le Conseil d’Etat propose de renforcer la compétitivité du canton en baissant la fiscalité pour la rapprocher de celle des cantons voisins, une baisse de la fiscalité pour les propriétaires afin d’encourager à se domicilier dans le canton, et un élargissement de l’assiette fiscale, sans bien préciser où. Et le Conseil d’Etat de conclure par un vibrant «Allons-y»!

On peut déjà dire que les députés du POP ne vibreront pas de la même manière à cette affligeante démonstration d’incapacité à corriger les défauts du système.

L’encre ayant servi à écrire le programme de législature n’est pas encore sèche que l’Etat vient de proposer une baisse générale des impôts, à commencer par ceux des entreprises et des citoyens. C’est qu’il faut gagner la concurrence fiscale entre les cantons. Ironiquement, nous pourrions relever une certaine frilosité du Conseil d’Etat, qui n’a pas encore osé proposer la suppression totale de la fiscalité sur les personnes morales. Mais la direction est la bonne!