«Nos vidéos nous permettent de combattre l’extrême droite sans la nommer»

Medias • Usul, qui s’est fait connaître comme l’un des premiers youtubeurs politiques de gauche et produit aujourd’hui des vidéos pour Mediapart, était de passage en Suisse à l’invitation des Jeunes POP, avec son acolyte Cotentin. Interview.

«Les milieux militants de gauche ont du mal à se faire entendre dans les médias généralistes, soit parce qu’ils n’ont pas envie d’y être confrontés, soit parce que ces derniers ne leur donnent pas de crédit», constate Usul.

Usul est avant tout un analyste polyvalent et engagé. S’il fait ses premiers pas sur internet à travers des chroniques sur les jeux vidéo, il passe le reste de son temps à s’informer sur l’actualité politique et développe un regard critique sur les médias établis. Souhaitant transmettre une perspective de gauche absente du discours médiatique, il commence à publier sur YouTube, sous le titre «Mes chers contemporains», une série de vidéos politiques incisives à tendance marxiste. Celles-ci vulgarisent avec humour des thèmes complexes comme le concept de salaire à vie de Bernard Friot, le revenu de base, les attaques contre la sociologie, ou le pouvoir des médias. Elles feront plusieurs centaines de milliers de vues. Avec son acolyte Cotentin, il produit aujourd’hui des vidéos hebdomadaires pour le site d’information Mediapart, sous le titre «Ouvrez les guillemets». Il était de passage à Neuchâtel à l’invitation des Jeunes POP, pour donner une conférence sur le pouvoir des médias.

Comment en êtes-vous arrivés à faire des vidéos politiques sur YouTube et comment définiriez-vous votre travail?
Usul J’avais l’impression d’avoir fait le tour des jeux vidéo, je voulais entrer dans le dur du sujet au niveau politique. Jusqu’à mes 26 ans, j’ai fait tous les métiers du précariat (call center, McDonald’s, intérim, usine) et je me suis toujours tenu informé par le biais de sources de gauche. J’ai eu envie d’exprimer mon point de vue marxiste de manière plus directe sur internet.

Cotentin Ce que l’on fait pour Mediapart est un travail d’éditorialistes, nous cherchons à transmettre une analyse critique de l’information reflétant nos positions politiques. C’est une forme de journalisme d’opinion.

Avoir plus de présence sur internet, est-ce encore quelque chose à améliorer pour la gauche?
Usul Absolument. Les milieux militants de gauche ont du mal à se faire entendre dans les médias généralistes, soit parce qu’ils n’ont pas envie d’être confrontés à ce genre de médias, soit parce que ces derniers ne donnent pas de crédit à ce qu’ils disent. Le problème vient aussi des mouvements de gauche eux-mêmes: beaucoup n’arrivent pas à dépasser leurs désaccords idéologiques. Faire exister un discours de gauche dans les médias est donc une réelle difficulté. Internet peut être un outil pour transmettre un message de manière plus directe et globale.
Par contre, je ne conçois pas mon travail comme quelque chose de spécifiquement «sur internet». C’est un type de média comme un autre, qui est tout aussi crédible. Aujourd’hui, tout le monde va sur internet car c’est là que les choses se passent! Mais cela n’a pas de sens de dire que Mediapart est un journal sur internet: c’est seulement un journal, une source d’information toute aussi légitime que le contenu en ligne de France Info par exemple.

YouTube reste cependant une plateforme bien spécifique. Elle permet notamment d’atteindre un public large, en particulier la jeunesse. Aviez-vous cette volonté de vulgariser un discours de gauche et de le confronter à des communautés moins ou pas politisées?
Usul C’était le cas pour «Mes Chers Contemporains», mais l’intention est différente avec «Ouvrez les Guillemets». Même avec un format plus court (30 minutes pour Mes chers contemporains, contre 10 à 15 minutes pour Ouvrez les guillemets), on s’intéresse à des sujets plus compliqués, que l’on analyse de manière plus pointue. L’un de nos buts est d’amener un point de vue marxiste de manière décomplexée, de populariser les concepts de cette gauche-là. Il faut aussi tenir compte du fait que certains sujets faisant partie de la culture populaire intéresseront plus facilement un public moins politisé, et auront donc un plus grand impact. Au final, ce que je souhaite, c’est contribuer au débat public en formant les citoyens à un esprit critique permanent.

Cotentin La plupart des gens qui regardent «Ouvrez les Guillemets» ne le font pas par hasard ou pour s’amuser. Notre public est souvent déjà militant et convaincu par les idées de gauche. En marge de cela, nous gardons un côté humoristique et revenons plusieurs fois sur des concepts clés nécessaires à la compréhension de la vidéo. Cela a parfois pour conséquence des commentaires de notre public averti, qui déclare «n’avoir rien appris». Ces vidéos peuvent donc aussi s’adresser à un public plus novice et être un outil de politisation.

Est-ce qu’une telle démarche permet de s’opposer aux médias établis? Ou est-ce seulement une manière d’animer le débat, d’amener une voix complémentaire?
Usul Nous essayons de prendre le contre-pied des lignes éditoriales de masse, mais il s’agit plus de donner un complément d’information que de s’y opposer. Je ne pense pas que YouTube permette une réelle opposition, car les médias établis savent aussi très bien s’en servir. Au départ, cette plateforme avait un public très spécifique et jeune, aujourd’hui c’est beaucoup moins le cas car les vidéos se sont énormément diversifiées. Dans le cadre de mon travail, je me sens plus chez Mediapart que chez YouTube.

Vos vidéos se posent-elles en réponse à celles de l’extrême droite, très présentes sur le web?
Usul «Mes Chers Contemporains» avait parfois cette intention, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Si nous souhaitions répondre à l’extrême droite, nous serions obligés d’utiliser un discours d’extrême droite, ce que nous ne voulons pas. Nous ne trouvons pas que leurs questions soient intéressantes.

Cotentin Nous ne nous basons pas sur eux pour faire nos vidéos, nous ne regardons pas vraiment ce qu’ils font. Nous ne voulons pas être dans une dynamique de réponse «clash». Le contenu que nous développons est en soi un moyen de développer nos idées sans avoir besoin d’être en opposition avec quelque chose d’autre. C’est un moyen de combattre cette extrême droite, mais sans la nommer.

Pensez-vous que tout le monde peut s’improviser Youtubeur politique?
Usul C’est possible, mais cela demande du temps et beaucoup d’apprentissage au niveau technique Parler devant la caméra ou faire du montage vidéo, ce sont des choses qui se travaillent. Mais comme je l’ai dit précédemment, j’estime que mon travail dépasse l’idée du Youtubeur: je suis un professionnel salarié dans le domaine de l’audiovisuel et du commentaire politique, ce n’est pas juste du post Facebook, même si c’est de là que je viens. Nous avions fait un épisode parlant de cet entre-deux, de cette position souvent contradictoire entre les médias traditionnels et une pensée des réseaux sociaux transmise notamment par YouTube. Nous nous trouvons clairement dans cette situation, mais cela nous convient.

Cotentin Oui, nous avons la chance d’être à la fois très libre dans ce que nous faisons tout en ayant un certain cadre à Mediapart.

Quel regard portez-vous sur la situation de la gauche radicale française bientôt un an après la présidentielle?
Usul Nous sommes à la croisée des chemins. Pour ma part, j’attends le Mai 68 à venir. La gauche n’a pas les mêmes formes qu’autrefois, elle est beaucoup plus diverse mais aussi beaucoup plus divisée. Comment peut-on rallier les différents combats des militants? Est-ce qu’il faut qu’il n’y ait qu’un seul mot d’ordre, ou un moment politique? Mai 68 c’est ça, c’est un moment politique. Il est également important de ne pas oublier que, même si Macron a gagné, Mélenchon a obtenu 20% des voix. C’est un signal important.

Cotentin J’ai le sentiment que depuis quelques années les gens se réveillent. Il y a eu beaucoup de révoltes ces dernières semaines en France: les nombreuses grèves comme celles de la SNCF ou à Carrefour, la violence dans les facs… Le moment est intéressant politiquement pour la gauche. Il faut savoir saisir ces événements pour se faire entendre, transmettre un message.

Est-ce que votre voix, en tant qu’éditorialistes et vidéastes connus, pourrait représenter ces mouvements?
Cotentin Nous ne sommes pas des reporters. Nous ne pouvons pas nous permettre de porter la voix de chacune de ces luttes. Notre rôle est de créer des vidéos qui informent, mais aussi de donner de l’espoir. Nous voulons contrer cette idée assez présente chez les militants de gauche que «l’on n’y arrivera pas». La gauche radicale est en train de renaître en France alors qu’elle était muette il n’y a pas si longtemps. Ce sont des éléments qu’il faut mettre en avant.

Usul Il est vrai que nous nous sommes demandé si notre rôle était de rendre compte des luttes, de les montrer. Mais ce que nous faisons avant tout c’est de l’analyse, c’est le format que nous avons choisi pour nos vidéos. Par contre, nous essayons en effet de porter un message positif: le monde est en train de changer, c’est les jeunes qui le font changer. On voit déjà les résultats notamment avec les luttes féministes. Je suis fondamentalement optimiste, je crois beaucoup en cette jeune génération de vingtenaires-trentenaires. Il est certain qu’un Usul de 50 ans ne dirait pas les mêmes choses: j’ai été traité comme le reste de la jeunesse d’aujourd’hui, j’ai les mêmes colères mais aussi les mêmes espoirs. C’est ce message-là que nous voulons transmettre: nous vivons un temps de changement, il faut croire en nos luttes, croire qu’elles aboutiront.