La gauche mitigée face à Monnaie pleine

Suisse • Pour une bonne partie de la gauche, l’initiative monnaie pleine, qui sera soumise au vote le 10 juin, poursuit des objectifs louables, mais ne propose pas les bons moyens d’y parvenir. La gauche radicale lui apporte un soutien critique.

L’initiative «Monnaie pleine» veut donner tout pouvoir à la banque nationale suisse (bnS) dans la gestion du marché monétaire.

Donner tout pouvoir à la Banque nationale suisse (BNS) dans la gestion du marché monétaire afin de mieux contrôler les banques et ainsi éviter des crises telle que celle de 2008 et «remettre l’économie financière au service de l’économie réelle et le système monétaire au service des citoyens». C’est l’objectif que se donne l’initiative «Monnaie pleine», soumise au vote le 10 juin. Cette proposition complexe, lancée par l’association Modernisation monétaire (Momo), composée notamment d’experts en économie, droit ou sociologie, ne parvient toutefois à rassembler que peu de soutiens, même à gauche.

«Plus de bulles financières»
Aujourd’hui, les pièces de monnaie et billets de banque, émis par la BNS, ne représentent que 10% de la masse monétaire existante. Les 90% restants sont de la monnaie électronique (ou scripturale), que les banques créent elles-mêmes, notamment lorsqu’elles octroient un crédit au-delà de l’argent effectif dont elles disposent. Cette monnaie électronique n’est assurée «que par des réserves minimales», soulignent les initiants et «beaucoup trop d’argent est généré par les banques dans un but spéculatif, ce qui expose l’économie et l’Etat à des risques financiers importants». L’initiative propose ainsi de réserver à la seule BNS la possibilité de créer de l’argent électronique, en plus des pièces et des billets. Les banques resteraient «chargées du trafic des paiements, de la gestion de fortune et de l’octroi de crédits», mais elles ne pourraient prêter que l’argent qu’elles auraient reçu «des épargnants, des autres banques ou, en cas de besoin, de la Banque nationale».

Grâce à monnaie pleine, «il n’y aura plus de bulles financières et l’économie sera plus stable». Par ailleurs, «si une banque fait faillite, l’argent des comptes privés ne disparaîtra plus», car ils seraient entièrement garantis par l’argent de la BNS, promettent les initiants. Les bénéfices liés à la création monétaire, qui reviennent actuellement aux banques et aux marchés financiers, profiteraient à la BNS et donc à la population et à l’économie réelle, expliquent-ils encore. La BNS pourrait en effet les attribuer, sans dette, directement à la Confédération, aux cantons ou à la population.

Peu de soutiens, même à gauche
L’idée pourrait sembler séduisante, en particulier pour la gauche. Pourtant, elle crée pratiquement l’unanimité contre elle: du côté des banques commerciales, sans grande surprise, mais aussi de la BNS, du Conseil fédéral, de l’Union syndicale suisse, et d’une bonne partie de l’échiquier politique, de gauche à droite. Chez les socialistes, seule la section genevoise soutient l’initiative. Au niveau national, on estime qu’elle «poursuit un but louable, à savoir stabiliser les marchés financiers et éviter les bulles spéculatives», mais qu’«elle amène avec elle des risques impondérables». Le changement proposé est notamment jugé «trop radical». Aucun pays n’a en effet testé ce système et nombre d’opposants évoquent un «saut dans l’inconnu». Le PS estime en outre que l’initiative «pourra toujours être contournée, en passant par d’autres monnaies» et qu’elle attribuera trop de pouvoir à la BNS, sans contrôle démocratique suffisant. Le but affiché «peut être mieux atteint avec d’autres instruments», analyse le parti à la rose, qui propose de fixer à 10% le taux de fonds propres obligatoires pour les banques d’importance systémique.

L’ancien conseiller national Jean-Christophe Schwaab remet également en question les fondements «philosophiques» de l’initiative: «En partant du principe qu’une banque nationale doit se concentrer sur la gestion de la masse monétaire, les initiants ne font rien d’autre qu’appliquer la théorie monétariste de Milton Friedmann et consorts, qui a notamment fait d’énormes dégâts dans notre pays dans les années 1990», constate-t-il. Et d’ajouter qu’«il est fort probable que les banques, si elles ne peuvent plus se financer via les dépôts à vue, se cherchent d’autres sources de financement, plus risquées et aussi plus chères, tant pour les emprunteurs que pour les déposants». «Monnaie pleine risque de restreindre l’accès au crédit», estime-il encore, argument avancé par de nombreux opposants mais que les initiants contestent.

Exprimer une volonté de changement radical
Les Verts rejettent également le projet, à l’exception de leurs sections genevoise et tessinoise. Enfin, du côté de la gauche radicale, les avis sont mitigés. «L’initiative (…) ne changera pas les structures du pouvoir réel, et ne veut même pas les secouer», estime le PST/POP. Le parti a néanmoins opté pour un «oui critique», dans le but de donner un coup de pied dans la fourmilière des milieux bancaires, trop prompts à claironner que «le système financier a fait ses preuves», opposés à toute forme de contrôle démocratique de leurs activités et bien loin d’une remise en question qui pourtant serait salutaire.

Dans les pages du journal de solidaritéS, Jacques François se montre lui aussi mitigé. Il estime notamment que «l’ensemble des actions que cette initiative implique est difficile à tenir en solitaire pour une Suisse fortement imbriquée dans le système économique mondialisé», mais invite tout de même à la soutenir «pour exprimer notre volonté de changement radical du système bancaire». Et d’espérer «qu’une défaite trop importante ne permettra pas aux banques de se débarrasser pour des années de toute tentative de contrôle démocratique des opérations financières, aussi modeste soit-elle».