Les cheminots en grève, fer de lance de la contestation sociale

France • Mobilisés deux jours sur cinq durant trois mois, les cheminots en lutte contre la réforme ferroviaire qui promet de mettre fin à leur statut et à celui de l’entreprise publique historique se battent dans l’unité (par Marion d’Allard, paru dans L’Humanité).

C’est la lutte emblématique de ce printemps social. Celle des cheminots contre le «nouveau pacte ferroviaire» porté par Edouard Philippe et adopté cette semaine par l’Assemblée nationale, qui entend finaliser la libéralisation du rail. Une réforme «dogmatique» pour les syndicats de cheminots qui, unanimement, dénoncent le passage en force.

Le projet gouvernemental repose sur trois piliers. D’abord, l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, induite par les directives européennes du quatrième paquet ferroviaire, voté en 2016 par le Parlement européen. Ensuite, le changement de structure juridique de l’entreprise publique en société anonyme, ce qui préfigure l’ouverture ultérieure du capital à des investisseurs privés et engendrera, mécaniquement, une charge financière supplémentaire pour le système ferroviaire. Enfin, l’abandon du statut des cheminots avec la fin annoncée des recrutements au cadre permanent.

Dès l’annonce du recours aux ordonnances, l’intersyndicale (CGT, Unsa, SUD, CFDT) s’est mise en ordre de bataille. «Le gouvernement portera l’entière responsabilité d’un conflit majeur», avait-elle prévenu le 23 mars dernier, au lendemain d’une manifestation nationale qui a rassemblé 40’000 cheminots dans les rues de Paris. Premier acte réussi d’une lutte au long cours pour «préserver ce qui constitue le bien commun de la nation». Mais, face à un exécutif inflexible, les cheminots agissent désormais par la grève depuis le 3 avril. Un mouvement aux modalités inédites, de deux jours sur cinq jusqu’à fin juin.

Une dette objet de chantage social
L’intersyndicale a travaillé son contre-argumentaire autour d’une plateforme revendicative de huit points à travers lesquels les cheminots fixent non seulement des lignes rouges – comme le statut de la SNCF  -, mais exigent surtout que des sujets fondamentaux, soigneusement éludés par le gouvernement, soient l’objet de véritables négociations. C’est le cas de la dette qui plombe le système de près de 50 milliards d’euros et coûte chaque année à la SNCF 1,5 milliard d’euros au seul titre de ses intérêts. Une «folie», a concédé Emmanuel Macron, dimanche à la télévision.

Mais, l’Etat rechigne, contrairement à ce qu’a fait l’Allemagne en son temps, à reprendre le fardeau pourtant contracté au fil des ans et des grands projets d’infrastructures. Pire, l’exécutif fait aujourd’hui de cette dette l’objet d’un chantage social. «La SNCF perd chaque année 1,5 milliard d’euros parce qu’elle n’est pas assez efficace et parce qu’il y a un statut», a ainsi déclaré le chef de l’Etat. Manque de polyvalence, «règles de temps de travail qui ne sont pas conformes au reste de la société», régime d’avancement et gestion de carrière trop avantageuse, régime spécial de retraites… l’Etat ne reprendra la dette «partiellement et à compter du 1er janvier 2020» qu’à condition que la SNCF renforce la productivité de ses salariés. En réponse, les grévistes se sont à nouveau réunis cette semaine en assemblées générales pour reconduire le mouvement, actant ainsi la quatrième phase de cette grève particulière.