Menace larvée sur le système ferroviaire

Transports • L’Office fédéral des transports veut mettre fin au monopole des CFF pour l’exploitation des grandes lignes ferroviaires. Une aberration, selon les syndicats qui dénoncent une application aveugle du «dogme de la concurrence», au détriment des salariés et des usagers.

Alors que la France est en ébullition contre les réformes envisagées à la SNCF, l’Office fédéral des transports (OFT) a démontré la semaine dernière que le dogme de la concurrence n’avait pas de frontières. Il a ainsi annoncé son intention d’accorder une concession à l’entreprise ferroviaire BLS pour exploiter deux grandes lignes ferroviaires suisses (l’entreprise en visait cinq): Berne-Bienne et Berne-Berthoud-Olten, mettant fin au monopole des CFF, que ceux-ci souhaitaient conserver. «On sait que les monopoles n’incitent pas à devenir plus efficaces, innovants. On est convaincus que la création de cette brèche peut augmenter l’efficacité», a déclaré Pierre-André Meyrat, directeur suppléant de l’OFT, au micro de l’ATS, sans bien expliquer comment et tout en précisant qu’aucune baisse du prix des billets n’était forcément à espérer.

Collaboration plutôt que concurrence
Même si ladite «brèche» est pour l’heure limitée, il y a de quoi avoir de sérieux doutes quant à la pertinence de cette réflexion. Et les syndicats ne se sont pas privés de le rappeler, à commencer par le SEV, syndicat du personnel des transports. «Le succès rencontré jusqu’ici par les transports publics en Suisse est dû au fait que toutes les parties prenantes collaborent au lieu de se faire concurrence», rappelle-t-il dans un communiqué. Sa vice-présidente Barbara Spalinger souligne en outre que l’exemple d’autres pays, comme la Suède «montre que la concurrence entre les entreprises ne contribue pas à améliorer l’offre, ni les conditions de travail du personnel ferroviaire». Et de dénoncer une volonté «d’imposer le dogme de la concurrence sans passer par une décision politique ordinaire».

«L’idée de l’OFT qu’à l’avenir, on puisse exploiter des parties de réseau qui s’autofinanceront avec des lignes rentables et non rentables, n’est qu’une utopie. Il faut plutôt s’attendre à ce que les entreprises ferroviaires – aussi les prestataires étrangers – se jettent sur les tronçons rentables alors que les lignes déficitaires auront besoin d’encore plus de subventions de la main publique puisqu’elles ne bénéficieront plus des subventionnements croisés des parties rentables comme jusqu’à présent. Ceci est une menace réelle contre cette offre non rentable. Et c’est la qualité de l’ensemble du système ferroviaire qui est mise en péril», poursuit-elle.

Pression sur les coûts et les conditions de travail
Dans un communiqué, l’Union syndicale suisse (USS) constate que l’OFT se contente d’affirmer que ce modèle aurait une «plus grande utilité pour les clients», sans expliquer en quoi. La faîtière rappelle en outre que les deux entreprises concernées ont déjà dû «engager d’énormes ressources seulement pour leur course à la concession». Un gain d’efficacité, vraiment? La concurrence «induit en premier lieu une pression sur les coûts et, de ce fait, des conditions de travail dégradées», poursuit l’USS, qui estime elle aussi que «ce n’est pas une concurrence ruineuse qui garantira le système de qualité de transports publics cadencés et aux tarifs unifiés, mais uniquement la coordination éprouvée de plusieurs opérateurs».

Dans un éditorial, le quotidien Le Courrier rappelle quant à lui qu’«au Royaume-Uni, notamment, la privatisation totale du rail au début des années 1990 a entraîné un abandon de l’entretien du réseau – au point que sa gestion a finalement dû été reprise par une société sans but lucratif après des accidents –, par l’explosion du coût des billets et par un service régulièrement défaillant. Le débat pour une renationalisation complète a dès lors été lancé».