Une figure à la fois fascinante et repoussante

Marx vu par un libéral • Marx n’est-il une référence que pour la gauche de l’échiquier politique? Qu’en pense-t-on, à droite? Pour l’historien Olivier Meuwly, membre du PLR, Marx est une figure à la fois fascinante et repoussante.

Par Olivier Meuwly

Le grand philosophe libéral Raymond Aron s’est confronté toute sa vie à l’œuvre de Karl Marx. Lecteur attentif et admiratif de l’Allemand, il a posé quelques principes susceptibles de guider les libéraux soucieux de se mesurer à sa pensée. Ils n’ont rien perdu de leur validité.

Pour Aron, aucune compréhension de la modernité qu’inaugure le XIXe siècle n’est possible sans un passage par Marx. A ses yeux, Marx avait fondamentalement bouleversé l’analyse du capitalisme et il était désormais exclu d’accepter ce système économique sans en décortiquer les contradictions potentiellement dangereuses et à même d’anéantir son dynamisme, qu’il avait d’ailleurs perçu. Source d’inspiration, la critique marxienne du capitalisme était indispensable pour en débusquer les limites.

Mais comment préserver les apports du capitalisme et du libéralisme économique qui s’y adosse sans les éliminer par des correctifs inadaptés? Voilà l’interrogation qui tourmente Raymond Aron. Pour défendre le capitalisme et la vision de la liberté qu’il suggère, il faut donc impérativement apprendre à «critiquer» la critique de Marx. On remarque alors que, si son regard aigu doit servir les libéraux dans leur propre travail d’introspection, ses solutions demeurent pour le moins sujettes à caution.

Marx et ses contradictions
La social-démocratie naissante de la fin de XIXe siècle avait déjà identifié certaines lacunes de sa pensée, comme la théorie d’un appauvrissement inéluctable des travailleurs, qui s’est révélée inexacte. Le caractère prétendument provisoire de la dictature du prolétariat pose également problème: elle fut critiquée autant par les libéraux que par les anarchistes…

Habile à dénoncer les contradictions du capitalisme, Marx ne voit plus celles qui obèrent son système. L’une, peut-être la principale, réside dans la dimension prophétique qu’il a donnée à sa théorie et que ses disciples n’auront qu’à peaufiner, alors même qu’il ambitionnait de désaliéner l’individu, non seulement, d’un capitalisme forcément carnassier, mais aussi d’un Dieu pure création humaine… Aron a dénoncé cette hypocrisie en décryptant dans l’ «opium du peuple» de Marx un autre opium, guère plus alléchant: celui des intellectuels.

Pour la droite, Marx reste ainsi une figure ambivalente: fascinante, par la force de sa pensée qui «saisit» avec brio la modernité encore balbutiante, et repoussante par le potentiel totalitaire, ou à tout le moins liberticide, qu’elle contient. Le dialogue avec Marx reste néanmoins nécessaire pour stimuler une réflexion sur un capitalisme qui n’en finit pas de muter sous la menace de dérives périlleuses, dans un monde qui, paradoxalement, étouffe dès qu’il l’expulse de son horizon.