Gaza demande la dignité

Gaza • Les manifestations pacifiques des Gazaouis à l'occasion de la commémoration de la Nakba ont été réprimées dans le sang par l'Etat d'Israël, qui s'efforce, avec le soutien des Etats-Unis et trop souvent avec succès, de faire passer le Hamas pour responsable de la situation.

Dans les manifestations, «on n’a pas vu de drapeaux du Fatah ou du Hamas, mais des drapeaux palestiniens», souligne Muhannad Maswadi, de la Mission Palestine en France.

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«Nos manifestations ont donné aux gens un but et une raison de vivre, c’est pour ça que vous voyez tant de jeunes qui nous rejoignent. Même s’ils sont tués par des snipers, ils préfèrent prendre ce risque et sentir un sens, un but, l’espoir d’une vie meilleure», explique Hassan al-Kurd, interrogé par le webmagazine +972mag. La grande marche du retour, dont il est l’un des organisateurs et qui a donné lieu à des manifestations largement pacifiques de Gazaouis aux abords de la clôture qui les sépare d’Israël, a été initiée non pas par le Hamas, comme nombre de commentateurs et les Etats-Unis aimeraient nous le faire croire, mais par des Palestiniens comme lui, qui croient en la non-violence.

Depuis le 30 mars, des dizaines de milliers d’hommes, femmes et enfants, se sont rassemblés dans cinq camps installés à 700 mètres de la clôture, manifestant chaque vendredi pour réaffirmer leur droit au retour et demander la fin du blocus israélien. Il y a 70 ans, leurs ancêtres ont été violemment déplacés à l’occasion de la création de l’Etat d’Israël. Et cela fait des années qu’ils sont enfermés dans la prison de Gaza, sans avenir, souvent sans travail. L’ONU a même déclaré que l’enclave deviendrait « invivable » d’ici 2020 si le blocus n’était pas atténué. Le 15 mai, jour de la commémoration de cet exode initial, la Nakba (catastrophe), ils voulaient tenter de traverser la clôture, pacifiquement, explique Hassan al-Kurd.

Au nom de la «légitime défense»
Mais un Palestinien debout, revendiquant des droits et une dignité, c’est déjà trop pour le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, qui, emmené par son premier ministre Netanyahou et soutenu par les franges les plus nationalistes du pays, affiche de façon de plus en plus décomplexée son mépris total pour la vie de ceux qu’il nomme les «Arabes». Un bon Palestinien ne semble pouvoir être qu’exilé, soumis, …ou mort. Ainsi, ce sont des tireurs d’élites qui, au nom de la «légitime défense» d’Israël, ont été envoyés à Gaza, abattant impunément des manifestants désarmés – ou, sans doute, lançant parfois des pierres – sans même qu’ils n’affichent forcément l’intention de traverser la barrière.

Alors que cet «usage d’une force excessive et meurtrière» était déjà dénoncé depuis plusieurs semaines par Amnesty et d’autres ONG, les Etats-Unis de Trump, non contents, sans doute, des révoltes qu’avait déjà provoqué la seule annonce du transfert de leur ambassade à Jérusalem, ont choisi le 14 mai, jour précédent la commémoration de la Nakba, pour célébrer en grande pompe ce transfert, portant le sentiment d’impunité de Netanyahou à des niveaux stratosphériques. Le même jour, une soixantaine de Palestiniens étaient abattus à Gaza, portant le nombre de victimes à plus d’une centaine, et des milliers de blessés. Zéro du côté israélien.

«Utiliser des snipers face à des manifestants sans armes… Le fusil de précision, c’est l’arme pour assassiner l’ennemi, pas pour réguler une manifestation! (…) L’armée n’est jamais tombée aussi bas. Les lignes rouges ont déjà été dépassées lors de guerres, mais là, c’est une politique de l’état-major», s’indignait Yehuda Shaul, l’un des fondateurs de Breaking the Silence, ONG regroupant des anciens soldats critiques de l’occupation, interrogé par Libération. A Jérusalem, le gendre de Trump Jared Kushner poussait l’affront au point d’affirmer sans gêne que son pays était «prêt à tout faire pour soutenir un accord de paix».

Un appel à «toutes les parties»
«Massacre», «Crime de guerre», aucun des termes utilisés par les ONG ne semble assez fort pour ébranler la conviction de l’Etat d’Israël, fort du soutien des Etats-Unis, qui se sont empressés de rejeter toute la faute sur le Hamas, d’être dans son bon droit. Si plusieurs pays ont appelé à une enquête indépendante, la communauté internationale s’est quant à elle trop souvent contentée de condamnations tardives ou molles et non suivies d’action, à l’image de la cheffe de la diplomatie de l’Union européenne Federica Mogherini, demandant lundi «à toutes les parties d’agir avec la plus grande retenue afin d’éviter des pertes de vie humaine supplémentaires». A toutes les parties? Comme si, sous les balles, les Palestiniens de Gaza étaient encore et toujours responsables de la situation. «Il est insupportable d’entendre les appels au calme à l’endroit des Palestiniens de la part de certaines chancelleries occidentales. La vérité est très simple: les Palestiniens sont depuis 70 ans les victimes d’une agression et non le contraire», lâchait Salman el Herfi, ambassadeur de Palestine en France, interrogé par l’Humanité.

Pas de drapeaux du Hamas ou du Fatah
Nombre de médias occidentaux s’engouffraient eux aussi dans la brèche, posant à tout va la même question: les manifestants ne sont-ils pas manipulés par le Hamas? Sur place, la réalité semble plus complexe. Ainsi, selon plusieurs sources, le Hamas se serait associé à l’appel à manifester pacifiquement. «Nous voyons comment le Hamas encourage nos jeunes à faire preuve de retenue, et à ne pas répondre avec violence à la violence israélienne. Tant le Hamas que le Jihad islamique voient l’écho que nous avons dans les médias. Ils comprennent que, à long terme, c’est la voie à suivre», commente Hassan al-Kurd dans +972mag. Ces dernières semaines, le Hamas aurait d’ailleurs signifié de plusieurs manières à Israël qu’il était prêt à ouvrir le dialogue, rapporte Le Temps. Dans les manifestations, «on n’a pas vu de drapeaux du Fatah ou du Hamas, mais des drapeaux palestiniens (…) Et quand bien même ce serait le Hamas, le Hamas a le droit de manifester aussi», rappelait quant à lui Muhannad Maswadi, de la Mission Palestine en France sur franceinfo.

«C’est comme si c’était la faute de Martin Luther King d’avoir traversé le pont à Selma et non pas la faute de la suprématie blanche», résumait Noura Erakat, avocate et enseignante américano-palestinienne à l’Université Georges Mason, dans une interview à la chaîne américaine CBS. On ne saurait mieux dire.