«Israël doit être sanctionné plus durement»

Palestine • Leila Shahid, qui fut longtemps ambassadrice de Palestine en France puis auprès de l’Union européenne, met en perspective les manifestations de Gaza, les crimes de guerre israéliens et l’attitude des gouvernements dans le monde (par Pierre Barbancey, paru dans L’Humanité, adapté par la rédaction).

Second Day of the Third International Session of the Russell Tribunal on Palestine "Are Israel's practices against the Palestinian People in breach of the prohibition on Apartheid under International Law?" at the District Six Museum in Cape Town, South Africa. 6th November 2011. Picture: Jordi Matas ( jordimatas.net ) «Pour la première fois en 70 ans, vous avez des pays arabes avec les Américains et avec les Israéliens, contre les Palestiniens», dénonce Leila Shahid.

Que cherche Israël en commettant un tel massacre, en perpétrant ce qui semble être des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité?
Leila Shahid Israël poursuit sa politique habituelle, de tout-militaire, de répression, d’écrasement par la disproportion des méthodes employées face à une population civile désarmée mais qui a choisi de revenir à une forme de lutte pacifique, non violente, de résistance à l’occupation qui dure depuis 51 ans. Nous en sommes à la quatrième guerre contre Gaza depuis dix ans. Celle-là est peut-être la pire parce qu’on assiste au retour à une Intifada pacifiste qui est menée uniquement par les jeunes de Gaza, absolument pas par le Hamas, ni d’ailleurs par le Fatah. C’est une nouvelle génération de jeunes Gazaouis, qui vivent maintenant depuis onze ans totalement assiégés. Ils sont enfermés par l’armée israélienne, qui prétend avoir quitté Gaza. Mais, selon le droit, tant que l’armée est présente à tous les accès terrestres, aériens et maritimes, c’est un territoire occupé. Gaza est aussi assiégée par les Égyptiens, qui ont fermé le seul accès que la population avait vers l’extérieur. Mais elle est également assiégée par la guerre de pouvoir entre le Hamas et l’Autorité palestinienne. Le Hamas lui inflige un régime qui n’arrive pas réellement à avoir des relations internationales et qui ne reçoit aucune aide et l’Autorité palestinienne refuse de payer les salaires et les factures d’électricité, pensant faire pression sur le Hamas. Donc, cette population est totalement abandonnée à elle-même. Et le monde, à commencer par le monde arabe, regarde ailleurs, regarde l’Iran, qui est devenu, grâce à Trump, l’ennemi à abattre.

Israël cherche-t-il à mater totalement le nouveau mouvement palestinien ou à créer la zizanie?
Netanyahou ne veut pas d’État palestinien et est soutenu dans ce domaine par le nouveau président américain. Il a le sentiment de pouvoir faire ce qu’il veut et, donc, il «finit le boulot» de nettoyage ethnique commencé il y a 70 ans. Comme il ne peut pas jeter les Palestiniens à la mer comme en 1948, à cause des téléphones portables, des journalistes, des réseaux sociaux, il nous écrase avec une violence militaire choquante. D’ailleurs, même les responsables militaires israéliens disent maintenant qu’ils ont perdu la bataille de l’image. Ils sont en train de commettre des crimes de guerre pour lesquels ils devront rendre des comptes devant la Cour pénale internationale (CPI) et toutes les instances internationales si la conscience du monde se réveille.

Est-ce que la réaction internationale est à la hauteur de ce qui est en train de se passer?

Je pense que ce qui s’est passé le 14 mai, la mort de 62 Palestiniens en 24 heures, a provoqué un changement fondamental dans les opinions publiques mondiales, y compris en Israël. Cela fait maintenant plus de trois ans qu’on nous dit que la question palestinienne n’est plus prioritaire, qu’on s’occupe de l’Iran et du terrorisme. Trump et Netanyahou avaient réussi à assimiler les Palestiniens à tout ce mouvement de terrorisme international. C’est pour cela qu’ils tiennent absolument à dire que les marches à Gaza sont organisées par le Hamas. Ils mettent tout dans le même sac. Mais les moyens de communication permettent aux gens de se faire leur propre opinion. Depuis le 30 mars, il y a 12’000 blessés, dont certains seront handicapés à vie à cause de l’utilisation de balles explosives. Les jeunes à Gaza n’ont pas eu recours aux armes. Parce que les stupides roquettes du Hamas sur Sdérot donnaient des justifications aux Israéliens pour bombarder Gaza. Il y a des moments dans l’histoire où s’expriment le courage des peuples, leur détermination à se sacrifier (parce qu’ils n’ont rien d’autre à part la force de leurs convictions).

Qu’en est-il de la réaction des pays arabes?
Pour la première fois en 70 ans, vous avez des pays arabes avec les Américains et avec les Israéliens, contre les Palestiniens. A commencer par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, qui considèrent aujourd’hui que leur premier ennemi, c’est l’Iran et donc que leurs premiers alliés sont Trump et Netanyahou. Comme l’a dit le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane lors d’une réunion avec un groupe sioniste aux Etats-Unis lors de son voyage officiel il y a un mois, les Palestiniens «devraient se taire» ou accepter la grande proposition de Trump. Or il n’y a pas de proposition mais une décision unilatérale d’imposer aux Palestiniens, avec l’aide de certains pays arabes, des bantoustans séparés par cette nouvelle Jérusalem métropolitaine qui va être dix fois plus grande que celle d’aujourd’hui. Toutes les colonies aux alentours seront annexées à Jérusalem. Et comme c’est la «capitale» reconnue par Washington, le gouvernement israélien va essayer de toutes les manières (économique, sociale, physique) d’expulser les Palestiniens et d’intégrer les 250’000 colons qui sont à Jérusalem-Est pour poursuivre ce qu’il appelle sa «guerre démographique». Ce n’est pas un incident. C’est un moment clé. Ceux qui l’ont compris sont ces magnifiques jeunes de Gaza, dont le plus vieux a 30 ans, qui n’ont rien demandé à personne. Ni au Hamas, ni au Fatah, ni aux Arabes, ni aux Américains, ni aux Européens. Ils ont secoué la conscience du monde en se sacrifiant parce que c’est leur seule arme.

Faut-il sanctionner et boycotter Israël?
Le mouvement Boycott-désinvestissement-sanctions (BDS) ne doit pas être simplement le fait de citoyens courageux dans le monde, il doit être appliqué aussi par les Etats. C’est une arme non violente. Nous ne demandons pas que vous bombardiez Israël. Nous exigeons que vous appliquiez ce que le droit impose: des sanctions économiques, politiques, diplomatiques et le boycott de tout ce qui a à voir de près ou de loin avec cette politique d’occupation et ces crimes de guerre. Que les Parlements des 28 Etats de l’UE votent des résolutions pour le boycott comme forme de pression non violente sur Israël.