PF17 et AVS: un «compromis acceptable», vraiment?

Suisse • La commission de l’économie et des redevances du conseil des Etats a lancé la semaine dernière l’idée d’une compensation des pertes fiscales de PF17 dans l’AVS. Si la proposition a été qualifiée de «compromis acceptable» par les instances dirigeantes du PS, elle est encore loin de faire l’unanimité à gauche.

«La consolidation de l’AVS est une obligation constitutionnelle qui ne saurait être conditionnée ni représenter une contrepartie quelconque», critique la CGAS. (CC Thomas8047)

«Pour chaque franc de recettes fiscales perdu par la Confédération, les cantons et les communes en raison du projet fiscal 17, un franc est affecté au financement de l’AVS». C’est la proposition lancée la semaine dernière par la commission de l’économie et des redevances du conseil des Etats, qui devait encore être peaufinée ce jeudi. Elle remplacerait l’augmentation de 30 francs des allocations familiales qui avait été évoquée jusqu’ici à titre de compensation. Pour rappel, celle-ci n’aurait pas touché les cantons romands, qui pratiquent déjà des allocations familiales plus élevées. Les pertes financières de PF17 étant évaluées à 2,1 milliards, un montant équivalent devrait donc être versé à l’AVS, financé par une augmentation de 0,3% des cotisations (0,15% employeurs et 0,15% employés), par une partie de la TVA, et par une augmentation de la participation de la Confédération.

Gagner un temps précieux?
Si la proposition a fait bondir la Jeunesse socialiste ou la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS), les instances dirigeantes du parti socialiste y voient quant à elles un «compromis acceptable». «Nous gagnons un temps qui nous est précieux pour trouver une solution judicieuse et durable afin d’assainir l’AVS. Pour nous, le projet d’élever l’âge de la retraite des femmes serait ainsi définitivement mort et enterré», a déclaré le président du PS Christian Levrat. Pour l’Union syndicale suisse (USS) aussi, les propositions de la commission représentent une «nette amélioration». «Les 2 milliards destinés à l’AVS (…) feront non seulement tomber la pression sur les prestations, en particulier sur l’âge de la retraite des femmes, mais les contributions de la Confédération et les cotisations salariales seront telles que les entreprises et les hauts revenus participeront davantage au financement de l’AVS qu’avec la hausse de la TVA prévue dans le cadre de la révision de l’AVS», commente-t-elle. Travail.Suisse partage à peu de chose près les mêmes positions.

Une « prise d’otage » des salariés
Un discours loin de convaincre toute la gauche. En conférence de presse cette semaine, la CGAS, faîtière syndicale genevoise, qui, pour rappel, avait été l’une des porteuses du référendum contre PV2020, a jugé la proposition «inacceptable», critiquant l’apparente unanimité de la gauche transparue dans les médias sur le sujet. «En échange d’un cadeau fiscal de 2,1 milliards par an, la Confédération s’engagerait à appliquer une disposition constitutionnelle, à savoir consolider l’AVS*. C’est se moquer de la population!», a dénoncé le syndicaliste Paolo Gilardi. «La consolidation de l’AVS n’est en aucun cas une option. C’est une obligation constitutionnelle qui ne saurait être conditionnée ni représenter une contrepartie quelconque», souligne la faîtière dans un projet de résolution soumis cette semaine à son assemblée des délégués.

De plus, «le financement de cette consolidation passera par une augmentation des prélèvements obligatoires sur les salaires, donc une baisse du pouvoir d’achat des salariés», a poursuivi Paolo Gilardi, insistant encore sur le fait qu’«il n’y a aucune garantie que ce compromis ne soit pas défait lors des débats à venir sur la réforme de l’AVS». «Les salarié-e-s et les retraité-e-s n’ont pas à subir de chantage et à choisir entre le renforcement du financement de l’AVS ou sacrifier les politiques et services publics tels que l’éducation, la santé, l’aide sociale, etc…», résume la résolution de la CGAS, le syndicaliste Davide de Filippo évoquant même une «prise d’otage» des salariés.

Un non clair de la population qui semble oublié
Autre voix discordante, la Jeunesse socialiste, qui estime que la commission des Etats «ne tient pas compte du non clair de la population à de nouveaux cadeaux fiscaux aux grands actionnaires». Pour sa présidente Tamara Funiciello, «le lien fait entre le PF17 et l’AVS n’est ni significatif, ni compréhensible. Dans un pays riche comme la Suisse, les entreprises doivent payer des impôts décents et assurer une bonne prévoyance vieillesse pour toutes et tous, indépendamment l’un de l’autre. En termes de contenu, il n’est en aucun cas possible de parler d’équilibre (…) La stratégie de faible imposition a échoué. Elle doit être combattue avec détermination. Parce qu’en fin de compte, la population suisse et mondiale en souffre – et les super-riches en profitent». De toute évidence, l’affaire n’est pas encore bouclée à gauche.

Outre ce marchandage avec l’AVS, une majorité de la commission a proposé que les dividendes soient imposés à 50% au minimum au niveau cantonal (contre 70% dans le projet de la Confédération), proposition rejetée par l’ensemble de la gauche. Enfin, elle a voté à l’unanimité en faveur d’une adaptation du principe d’apport de capital, proposition soutenue par la gauche et même qualifiée de «cruciale» par le PS.

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*L’art. 112 al.2 litt.b de la Constitution fédérale prévoit que les rentes de l’assurance vieillesse « doivent couvrir les besoins vitaux de manière appropriée ».