Des dirigeants européens vingt mille lieues sous la honte

UE • Le coup porté contre le navire de SOS Méditerranée et les 629 exilés africains à son bord par le ministre de l’Intérieur italien d’extrême droite révèle la dérive des Etats membres de l’Union européenne. (Par Emilien Urbach, paru dans L'Humanité)

L’Aquarius a dû errer dans les eaux de la Méditerranée durant plusieurs jours avant de pouvoir accoster en Espagne. Des migrants ont menacé de sauter à l’eau, de crainte d’être renvoyées en Libye. DR

Si un bateau avait la France pour rive la plus proche, il pourrait accoster», a assuré Emmanuel Macron mardi lors du Conseil des ministres, sortant enfin d’un silence coupable vis-à-vis de la décision inique du vice-président du Conseil italien, Matteo Salvini, qui a interdit lundi au navire de SOS Méditerranée, l’Aquarius, avec à son bord 629 personnes secourues au large de la Libye, d’accoster en Italie. Le président de la République française a eu bon dos de dénoncer également la «part de cynisme et d’irresponsabilité du gouvernement italien». Car ses déclarations révèlent finalement sa propre hypocrisie. Elles sont intervenues une heure à peine avant que la solution proposée par le gouvernement espagnol du socialiste Pedro Sanchez soit mise en œuvre. Sinon, l’Aquarius aurait donc pu rejoindre les côtes corses, bien plus proches que celle de Valence, en Espagne, comme l’ont d’ailleurs proposé, lundi, les deux dirigeants corses Jean-Guy Talamoni et Gilles Siméoni.

Des propos nauséabonds

Ce silence assourdissant de l’exécutif français a, de plus, laissé le champ libre aux propos les plus nauséabonds. Pour le député LR Éric Ciotti, par exemple, «l’Aquarius, il a une destination toute trouvée. Il faut qu’il retourne vers les côtes libyennes». Rien d’étonnant finalement, venu de dirigeants d’un pays qui garde ses frontières mortellement fermées, depuis trois ans, à celles et ceux qui souhaitent y trouver refuge. Ce même pays qui condamne à des peines de prison ceux qui viennent en aide à ces derniers. Un pays où on enferme de plus en plus d’enfants étrangers en centre de rétention, ou dans lequel encore un demandeur d’asile peut mourir seul sous une toile de tente, comme cela vient de se produire à Strasbourg.

Une heure après que les paroles du président ont été rapportées, commençait donc pour les exilés, en attente depuis samedi sur le pont de l’Aquarius, un nouveau périple maritime de 1’500 kilomètres en direction des côtes hospitalières de l’Espagne. Entre-temps, «plusieurs personnes avaient menacé de sauter à l’eau, raconte Antoine Laurent, coordinateur des opérations maritimes au sein de SOS Méditerranée, joint par téléphone. Elles avaient peur d’être renvoyées en Libye». A bord, parmi l’équipage comme chez les rescapés, l’angoisse et l’épuisement règnent, décrit-il. L’équipe médicale a du mal à faire face. Seuls quatre médecins sont sur le pont. Ils doivent surveiller en permanence l’état d’une personne sauvée de la noyade qu’ils ont réanimée dans la nuit de samedi à dimanche. Ils s’occupent également de sept femmes enceintes, auxquelles s’ajoutent aussi les personnes brûlées dans une des opérations de sauvetage effectuées samedi en fin d’après-midi, à la suite d’une importante fuite de gasoil dans la mer dans laquelle elles venaient de tomber.

Tout cela n’a pas empêché Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur du parti d’extrême droite La ligue, soutenu par Danilo Toninelli, le ministre des Transports issu du Mouvement 5 Étoiles, de persister dans sa décision de fermer les ports de son pays aux navires des ONG, arguant que «l’Italie ne serait plus le camp de réfugiés de l’Europe».

Ce choix intervient quelques jours après la mise à mort des tentatives du Parlement européen de faire réviser les accords de Dublin, qui obligent les exilés à demander l’asile dans le premier pays de l’Union européenne (UE) dans lequel ils arrivent, plaçant en première ligne la Grèce, l’Italie et dans une moindre mesure l’Espagne.

De multiples accords d’externalisation

Le coup de force italien pourrait changer la donne. «Mais la révision de la réglementation risque d’être conduite dans une logique complètement inverse à celle défendue, depuis des années, par la gauche européenne, prévient Sara Prestiani, chercheuse au sein de Migreurop et de l’Arci, en Italie. La logique qui anime Matteo Salvini, c’est le racisme et le nationalisme.» La militante rappelant, à juste titre, que l’actuel vice-président du Conseil italien fait partie des détracteurs d’une répartition réglementée des demandeurs d’asile au sein de l’UE. Pour lui, la solution se trouve dans le blocage des réfugiés à l’extérieur des frontières européennes. Une logique que les Etats membres de l’Union sont loin de remettre en cause en multipliant les accords d’externalisation des politiques migratoires. «L’agence Frontex continue d’organiser et financer le rejet des réfugiés, dénonçait aussi la députée communiste française Elsa Faucillon. Le sauvetage et la protection de ces hommes, femmes et enfants devraient pourtant être sa mission première (…).»

Un point positif demeure cependant dans la mobilisation de plusieurs élus locaux de villes méditerranéennes et dans les manifestations citoyennes qui ont spontanément réuni des milliers de personnes à Palerme, Rome, Turin ou Milan cette semaine. Mercredi, à l’heure de boucler ce journal, on apprenait par ailleurs qu’un bateau des gardes-côtes italien avait amené dans le port sicilien de Catane plus de 900 migrants récupérés au cours de cinq opérations de sauvetage au large des côtes de la Libye