«La Suisse refuse des gens en permanence»

Manifestation • Le 16 juin, journée des réfugiés, 60 organisations appellent à une manifestation à Berne sous le slogan «Entre nous pas de frontières». Noémie Christen, de Solidarité sans frontières, qui coordonne l’événement, évoque avec nous les actualités autour de l’asile.

Noémie Christen estime que la création de centres fédéraux rendra plus difficile la construction de solidarités avec les requérants d’asile (DR)

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Pourquoi organiser cette manifestation maintenant?
Noémie Christen Il y a en permanence des mauvaises nouvelles dans le domaine de l’asile. Dernièrement, le Secrétariat d’Etat aux Migrations a décidé de revoir l’admission provisoire des réfugiés érythréens et des accords ont été signés permettant des renvois forcés en Ethiopie. Par ailleurs, la restructuration de l’asile, qui instaure une accélération des procédures et la mise en place de centres fédéraux notamment, va entrer en vigueur en mars 2019. C’est un bon moment pour montrer qu’il y a un mouvement antiraciste et solidaire avec les personnes migrantes qui se mobilise. Car l’avenir est incertain sur la façon dont les solidarités vont se créer après la mise en place des centres fédéraux.

Que reprochez-vous à cette réforme de l’asile? En quoi les liens seront plus difficiles?

La réforme prévoit d’accélérer le traitement des cas «Dublin» et ceux dont on estime qu’une décision négative sera certaine. Les délais de recours seront drastiquement réduits. Enfin, les centres fédéraux se situeront le plus souvent loin des villes, les enfants ne seront pas scolarisés dans les écoles publiques et l’accès pour les personnes extérieures et les ONG sera limité.

Avez-vous des revendications précises à adresser aux autorités dans le cadre de la manifestation de samedi?
Nous n’avons pas formulé de revendications trop précises, pour que différents groupes, notamment de personnes réfugiées, puissent s’approprier l’événement. La revendication générale est celle en faveur d’une société ouverte, engagée et courageuse. Les groupes participants exprimeront ensuite leurs préoccupations respectives sous cette «bannière» commune.

Cette semaine, l’Italie a refusé l’accès à ses ports au bateau Aquarius, qui procède à des sauvetages en Méditerranée. Quel regard portez-vous sur ces événements?
L’absence de prise de position de la part d’autres pays européens au sujet de la décision italienne est inquiétante. Après, la Suisse, par exemple, agit de façon similaire en abusant du système Dublin pour renvoyer des requérants en Italie, sur qui est rejetée la responsabilité de l’accueil. Elle refuse des gens en permanence, alors qu’elle pourrait décider du contraire, via la clause de souveraineté des accords. Nous le dénonçons de longue date.

Simonetta Sommaruga a récemment annoncé que la Suisse accueillerait 80 réfugiés des camps libyens. Qu’en pensez-vous?
On va chercher très loin des réfugiés vulnérables alors qu’il y en a déjà énormément en Suisse. C’est évidemment positif d’en accueillir plus, mais pour nous, il s’agit surtout d’une opération médiatique, qui donne une image positive de la Suisse et alimente l’idée de sa «tradition humanitaire», que vraiment une prise en compte des enjeux politiques et humains. Par ailleurs, 80 personnes, c’est très peu. Cela fait bientôt dix ans que les accords de Dublin sont en vigueur et ils ont donné lieu à presque 30’000 renvois!

Le nombre de réfugiés qui arrive en Suisse est actuellement en baisse. Comment l’expliquer?
2015 a été une forte année de migration. S’il y a une baisse actuellement, c’est essentiellement parce que le nombre de demandes a diminué et pas forcément en raison d’un durcissement de la politique suisse. Ce sont plutôt les frontières européennes qui sont de plus en plus difficiles à franchir. Le parcours migratoire devient de plus en plus dur. De nombreuses frontières ont notamment été renforcées suite à la vague de réfugiés de 2015.

On a beaucoup parlé des questions de deal à Lausanne récemment. Certains affirment que des requérants d’asile s’y adonneraient parce qu’ils n’ont pas d’autres solutions. Qu’en dites-vous?
On ne pointe le deal que quand il concerne des personnes non-blanches, dont la visibilité dans l’espace public dérange. Mais on ne parle pas du deal qui se passe dans des espaces privés ou les discothèques par exemple, ni des problèmes structurels qui font qu’effectivement, certains requérants sont poussés vers le deal du fait de leur illégalisation sur le sol helvétique. Cela reste toutefois une économie de survie. Il ne s’agit pas de personnes qui s’enrichissent, contrairement à l’image qui est parfois véhiculée.

La mort de Mike, un ressortissant nigérian, suite à une arrestation par la police à Lausanne est aussi évoquée dans votre appel à manifester. Pensez-vous qu’il y a un problème avec la façon dont la police traite de ces situations?
A Lausanne, trois personnes noires sont mortes dans le cadre d’interactions avec la police en 18 mois. Il serait naïf de considérer qu’il n’y a pas de problème. Les pratiques policières sont parfois même justifiées en affirmant que la majorité des criminels sont des noirs, ce qui est raciste. On constate aussi que la police ose intervenir de façon plus agressive quand il s’agit de la vie de personnes noires. «Stop à la répression et au harcèlement policier» est l’une de nos revendications.

Comprenez-vous ceux qui constatent qu’il y a beaucoup de dealers de rue nigérians par exemple et qu’il est donc difficile pour la police de ne pas viser spécifiquement des personnes noires dans son travail de répression du deal?
Pour nous, la question n’est pas là. On sait que la répression n’est pas efficace et ne fait que déplacer le trafic. Les actions de répression reviennent en fait à viser les personnes qui sont dans l’espace public et qui n’ont pas d’autre endroit. Effectivement, la police va viser des personnes noires et parmi eux, certains feront du deal. Mais pour nous, cela revient à utiliser la guerre contre le deal pour faire une guerre contre les noirs. La guerre contre la drogue est une sorte de prétexte à l’enfermement raciste. Aux Etats-Unis, beaucoup de gens ont étudié ce phénomène.

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Manifestation samedi 16 juin à 14h à la Schützenmatte à Berne. Dès 16h, concerts et stands sur la place fédérale.