Duque menace la paix en Colombie

Colombie • Elu à 53,9%, le nouveau président marque le retour de la droite uribiste au pouvoir. Il entend revoir les accords de paix avec l’ex-guérilla des Farc. Quitte à menacer la réconciliation nationale (par Lina Sankari, paru dans l’Humanité, adapté et complété par la rédaction).

Ivan Duque a remporté, dimanche 17 juin, l’élection présidentielle colombienne. Avec 53,9% des voix, le candidat d’ultra-droite, fils putatif de l’ancien président Alvaro Uribe (2002-2010), laisse un point d’interrogation quant à l’avenir de la réconciliation nationale. Son rival, l’ancien maire Bogota Gustavo Petro (Colombie humaine), qui fut dans sa jeunesse membre du M-19, guérilla démobilisée en 1990, a quant à lui obtenu 41,8 %, soit le plus haut score jamais obtenu par la gauche dans la course à la présidence. Comme le prévoit la Constitution, il devient immédiatement sénateur mais, devant son QG dimanche soir, la foule appelait déjà à la «résistance».

Avocat et économiste passé par la Banque interaméricaine du développement (BID) à Washington et l’Organisation des Nations unies, Ivan Duque a fait ses premiers pas en politique il y a quatre ans, au Sénat. Lancé par Alvaro Uribe, héraut de la «guerre totale», le nouveau président entend faire de son mandat le «symbole d’une nouvelle génération» qui lutte contre « la corruption et le clientélisme». Mais son programme, qui s’appuie «la liberté d’entreprendre» et les valeurs traditionnelles de la famille, n’augure aucune nouveauté.

Une rencontre demandée par les Farc
Mais c’est surtout sa volonté de revenir sur les accords de paix qui inquiète. Soutenu par des partis chrétiens, des Eglises évangélistes, des conservateurs et des uribistes farouches, Ivan Duque a assuré, après l’annonce de sa victoire, que «cette paix, dont nous avons rêvé, demande des rectifications, aura des corrections pour que les victimes soient au centre du processus, pour garantir vérité, justice et réparations». La paix, obtenue après quatre ans d’âpres négociations à Cuba, a abouti au désarmement de 7’000 insurgés après 52 années de conflit, mais de nombreux points n’ont toujours pas été mis en œuvre. Ainsi, une cinquantaine d’anciens guérilleros ont été assassinés et 500 autres restent incarcérés. En outre, la sécurité physique et sociale des ex-rebelles, l’accès à la terre et la création de projets productifs manquent à l’appel.

La Force alternative révolutionnaire commune, parti politique issu de la guérilla des Farc, a donc demandé à rencontrer au plus vite le nouveau président. «Il est nécessaire que le bon sens s’impose; ce que le pays demande, c’est une paix intégrale, qui nous mène vers la réconciliation attendue. (…) Contourner cet objectif ne peut être un programme de gouvernement», a soutenu la formation dans un communiqué. Le dialogue avec l’Armée de libération nationale (ELN), dernière guérilla du pays, devrait également se compliquer.

La JEP remise en question
Ivan Duque a pour sa part d’ores et déjà annoncé qu’aucun trafiquant de drogue «ne devrait être amnistié». Cette déclaration vise directement l’ex-chef des Farc et négociateur des accords de paix, Jesus Santrich, emprisonné à Bogota depuis le 9 avril sur la base d’un mandat d’arrêt international émis par la DEA, l’agence antidrogue des Etats-Unis. L’intéressé récuse l’accusation de narcotrafic qu’on lui porte, soulignant que ses allées et venues faisaient l’objet d’une surveillance étroite et qu’il aurait dû être investi député. La Farc dénonce un montage politique visant à la décapiter, dont Ivan Duque semble aujourd’hui être le garant. Ce dernier oublie pourtant de mentionner que son mentor Alvaro Uribe est lui-même la cible régulière d’enquêtes pour ses relations avec la mafia et les paramilitaires d’extrême droite, liées au trafic de cocaïne.

Dans une interview accordée à El Pais, le nouveau chef de l’Etat conteste également la juridiction spéciale de paix (JEP), dispositif de justice transitionnelle qui constitue l’un des éléments centraux des accords de paix. Elle prévoit que toutes les parties au conflit, soit les guérilleros, mais aussi les militaires et les civils impliqués, s’engagent à révéler la vérité sur leurs crimes et à les admettre, leur permettant ainsi de bénéficier de peines alternatives. Selon Duque, la JEP sèmerait «l’impunité, parce que ceux qui sont les plus responsables des crimes contre l’humanité [les Farc selon lui, ndlr] ne vont pas (les) réparer, ils ne disent pas toute la vérité et ils sont déjà candidats (…) Notre défi en tant que parti, et celui de la société colombienne, sont de vaincre les Farc également lors des élections». La réconciliation attendra.