Erdogan installe l’autocratie

Turquie • Recep Tayyip Erdogan a été réélu au premier tour, mais son parti, l’AKP, s’est allié à l’extrême droite pour conserver la majorité. Le Parti démocratique des peuples (HDP) de Demirtas progresse et obtient 67 députés. (Par Pierre Barbancey et red., paru dans L'Humanité)

Le hdP de Selahattin demirtas, toujours incarcéré, a totalisé 11,7 % des suffrages progresse par rapport au dernier scrutin. Hilmi Hacaloğlu

Il n’y aura pas de second tour pour l’élection présidentielle en Turquie. Recep Tayyip Erdogan a été réélu le 24 juin, avec un peu plus de 52 % des suffrages. Son principal challenger, Muharrem Ince, le candidat du CHP (social-démocrate kémaliste), a emporté 31 % des voix, Selahattin Demirtas,le représentant du Parti démocratique des peuples (HDP), actuellement emprisonné, 8 % et Meral Aksener, du Bon Parti (IYI, droite nationaliste), 7 %. Le taux de participation s’est monté à 88 % et a montré l’engouement des Turcs pour ce scrutin. Fin politicien, calculateur, Recep Tayyip Erdogan n’a de cesse depuis quinze ans de renforcer son pouvoir. En 2017, un référendum a transformé le régime pour en faire un système présidentiel. La fonction de premier ministre a disparu au profit de celle du président. Celui-ci va nommer lui-même le gouvernement, sans que les ministres ne soient nécessairement issus du Parlement. Une Assemblée qui risque d’être croupion puisque le président va maintenant pouvoir gouverner par décrets. Elle n’aura même pas de droit de regard sur le budget. Si l’on ajoute que les principaux juges seront également désignés par le tout-puissant président, on a une idée de la direction que va prendre la Turquie: l’autocratie.

Regain de nationalisme, le plus étroit, le plus excluant

Pour l’opposition, disparate il est vrai, la stratégie n’a pas été gagnante. Il s’agissait d’empêcher d’abord l’élection d’Erdogan au premier tour en se présentant en ordre dispersé, puis de se rassembler au second pour le faire chuter, tout en se présentant coalisée aux législatives (le HDP se présentant néanmoins seul). Si le candidat du CHP, Muharrem Ince, a réalisé un score inégalé pour son parti, il n’en n’a pas été de même pour les législatives. C’est également l’une des leçons de ce scrutin. Les deux grands partis, celui de la Justice et du Développement (AKP) d’Erdogan et le CHP, n’ont pas retrouvé leur score des dernières élections parlementaires, en novembre 2015. L’AKP avait alors obtenu 49,5 % des voix, contre 42,5 % le 24 juin dernier. Le CHP, pour sa part, passe de 25,3 % à 22,6%.

Le score du HDP, une base pour défendre la démocratie

Le HDP, qu’Erdogan voulait faire disparaître de la carte électorale, a réalisé un score remarquable, qui sera une base d’action non négligeable, tant pour la défense du droit des Kurdes que pour la vision d’une Turquie démocratique et respectueuse de toutes ses composantes. Le HDP, a totalisé 11,7 % des suffrages (67 députés) et progresse par rapport au dernier scrutin, en dépit des pressions exercées sur les populations et les tentatives de trucage. Un score qui ancre le HDP dans une représentation nationale et plus seulement dans la réalité kurde. «C’est juste le début. Aucun d’entre nous ne se laissera aller au défaitisme, souligne Ahmet Sik, qui a été élu député HDP à Istanbul. Si nous y succombons, si nous ne résistons pas, nous perdrons. Parce que nous faisons face au fascisme et à la mafia.»

Avec l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle, Erdogan pourrait potentiellement rester au pouvoir jusqu’en 2023 (voire au-delà), l’année du centenaire de la république turque instaurée par Mustafa Kemal, qu’il entend maintenant supplanter au regard de l’histoire. «Tout sera organisé selon le désir, le plaisir et l’intérêt d’un seul homme. Vous vous sentirez incapables de respirer sous un régime de peur et de désespoir; vous vous sentirez comme si vous étiez étranglés», avez mis en garde Selahattin Demirtas la veille des élections. Ses prévisions risquent fort de s’accomplir.