Culpabiliser les femmes

Chronique féministe • Les groupements anti-avortement ont une imagination sans limite pour embêter les femmes.

Les groupements anti-avortement ont une imagination sans limite pour embêter les femmes. Dans Mise au point dimanche 16 septembre, j’ai vu un reportage qui m’a glacé le sang: des groupements donnent une sépulture aux fœtus! Tout d’abord, j’ai cru qu’on parlait d’un pays de l’Est, comme la Hongrie d’Orban ou la Pologne de Duda, tous deux conservateurs nationalistes machistes, ou de l’Irlande, si longtemps opposée à l’avortement. Eh bien non, il s’agit de l’Italie! En effet, la Lombardie autorise les parents qui le demandent à enterrer ou incinérer tous les fœtus, quel que soit le stade de leur développement. Auparavant, seuls les fœtus de plus de 20 semaines étaient remis aux parents qui le demandaient, tandis que les hôpitaux incinéraient les fœtus de moins de 20 semaines. Le nouveau règlement impose deux obligations: les médecins doivent informer les familles et les hôpitaux doivent donner une sépulture commune aux fœtus non réclamés.

Un groupe d’illuminés va jusqu’à dresser des tombes qui portent toutes le prénom de Céleste (pour bien insister sur le fait que ces petits anges appartiennent au ciel) mais aussi le nom de la mère, même si elle n’a rien demandé. C’est à l’évidence une façon de culpabiliser les femmes qui ont avorté, et de les désigner à la vindicte populaire. En Italie, toujours, les médecins peuvent refuser de pratiquer les avortements pour des raisons éthiques. Leur nombre est en augmentation… Ces gens qui volent au secours de fœtus de quelques grammes se moquent comme de leur première chemise de la souffrance, de la détresse des femmes qui refusent leur grossesse au point de risquer la mort si elles ne peuvent pas se faire avorter légalement. On n’a jamais fait baisser le nombre d’interruptions de grossesse en les interdisant.

En Suisse, on assiste à des marches «pour la vie». La dernière a eu lieu à Berne samedi dernier et a rassemblé 1500 personnes sur la Place fédérale. Une contre-manifestation a attiré 800 personnes. L’appel à manifester a été lancé par des organisations chrétiennes conservatrices, dont le Réseau évangélique suisse et l’Union démocratique fédérale. Un des arguments brandis est que des femmes qui avortent se retrouvent plus tard dans une situation de détresse psychologique et physique. Les adversaires reprochent à ces organisations de donner une image rétrograde et dégradante des femmes. Le droit à l’autodétermination leur est refusé au nom de Dieu. Les contre-manifestant-e-s, en grande majorité des jeunes, arboraient des banderoles avec l’inscription «My body, my right, my choice» (mon corps, mon droit, mon choix).

En Pologne, des femmes manifestent contre le gouvernement populiste qui veut encore durcir la législation la plus dure d’Europe en matière d’avortement. En Irlande, le débat avait été très agité avant la votation du 25 mai, qui a autorisé l’avortement. En Argentine, lors d’un vote récent, le sénat a maintenu la ligne dure, malgré le fait que les femmes sont descendues dans la rue durant plusieurs mois.

L’air du temps est à la réaction conservatrice. Interrogé, le gynécologue Israël Nisand, de Strasbourg, explique que les activistes conservateurs n’ont jamais lâché prise. Ils ne représentent qu’une infime partie de la population, mais sont devenus des professionnels de la communication. La raison de ces remises en cause est que les hommes sont préoccupés par le corps des femmes, qui détiennent le pouvoir de faire des enfants, et veulent le contrôler.

En France, le groupement «Les Survivants» fait parler de lui. Sur son site, il relève qu’on pratique dans le pays chaque année 220’000 avortements pour 800’000 naissances. Avec la conclusion suivante: «Nous sommes 17 millions de personnes nées depuis 1975 à être statistiquement des rescapés de l’IVG, puisque nous avions 1 chance sur 5 de ne pas vivre.» A 37 ans, Emile Duport est le chef de file de cette émanation traditionaliste et réac de la nouvelle génération anti-IVG. Son dernier coup de com’: la récupération du site simoneveil.com. Fin juin, la campagne d’affichage sauvage des Survivants dans les rues de Paris a choqué: on y voyait, placardisés sur des abribus, des photos d’embryons de quelques semaines sous-titrés «Einstein», «Gandhi» ou «Bob Marley», et barrés du slogan: «Interruption volontaire de génies».

Partout, le droit à l’avortement recule, tandis que de puissantes organisations religieuses militent pour son interdiction. En 2008, le pape lui-même avait réclamé des autorités italiennes l’abolition du droit d’avorter. De nombreux pays sont confrontés à des difficultés croissantes pour mettre en œuvre le droit à l’IVG, alors même qu’il est prévu par leurs lois respectives.

Pourtant, Nils Muiznieks, commissaire aux Droits humains du Conseil de l’Europe, tire la sonnette d’alarme. «Ces dernières années, des menaces résurgentes pour la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes ont émergé en Europe». Dans le viseur, notamment: la Macédoine, la Russie et la Slovaquie, qui ont adopté récemment «des mesures renforçant les critères à remplir pour les femmes afin d’avoir accès à l’avortement». L’Arménie et la Géorgie sont également visées. Outre la Pologne, le rapport des Droits humains du Conseil de l’Europe montre également du doigt l’Irlande du Nord, l’Irlande, Andorre, le Liechtenstein, Malte, Monaco et San Marin pour leur législation hautement restrictive en matière d’accès à l’IVG, qui n’est souvent autorisé qu’en cas de risque pour la vie de la mère ou de viol. Dans la plupart de ces pays, des peines de prison (jusqu’à la perpétuité en Irlande du Nord) sont prévues pour celles qui enfreignent la loi. Selon Nils Muiznieks, «l’avortement doit être légal à la demande d’une femme en début de grossesse et jusqu’à son terme si cela peut protéger sa vie ou si elle risque d’être maltraitée». Il ajoute en outre – à l’attention de la Turquie – qu’il est «essentiel de supprimer la nécessité d’autorisation par un tiers».

Les femmes sont fertiles dès l’apparition des règles et jusqu’à la ménopause, soit durant environ 30 ans. Elles sont fécondes 5 jours par mois. Les hommes sont fertiles depuis la puberté jusqu’à leur mort, même si la qualité du sperme décline avec l’âge, donc pendant environ 60 ans. Et ils sont féconds 30 jours par mois. Malgré ces disparités, c’est toujours aux femmes qu’incombe la responsabilité d’une grossesse, surtout non désirée. Ce sont elles qui doivent «se débrouiller», parfois au péril de leur vie, et qui se retrouvent seules devant les tribunaux des pays prohibitifs. Ce sont toujours les femmes que ces mouvements «pro-vie» harcèlent, condamnent, nient dans leur intégrité et leur destin. Où sont les hommes, les géniteurs?