Images Vevey a rendez-vous avec l’extraordinaire

Expo • L’édition 2018 de la plus grande manifestation helvétique dédiée à la photo se déploie autour du sujet «Extravaganza. Hors de l’ordinaire».

Antonina Gugala a arpenté sa Varsovie natale à la recherche de ces lieux artisanaux où l’on réalise encore des portraits destinés, dans son cas, à illustrer un certificat de diplôme (Antonina Gugala)

Le visiteur peut y pister au cœur des parcs, jardins, musées, en bord de lac ou sur les façades des œuvres parfois déroutantes toujours réflexives comme pour faciliter les retours sur soi. Parmi la soixantaine d’artistes et photographes issus de 17 pays, les réalisations signées Antonina Gugala, documentant l’artisanat des studios de portraits en voie de disparition, marquent durablement. Erwin Wurm, icône de l’étrangeté architecturale pose, lui, une maison étirée dans ses formes. N’omettons pas non plus une figure historique de l’art contemporain français, Annette Messager avec ses biopics dessinés et photographiés, pour subvertir, non sans ironie, les stéréotypes appliqués au féminin.

Exposé dans un local commercial de la Gare proche d’un studio photo veveysan devant disparaître début octobre, Antonina Gugala a arpenté sa Varsovie natale à la recherche de ces lieux artisanaux où l’on réalise encore des portraits destinés, dans son cas, à illustrer un certificat de diplôme. Ces portraits sont apriori non uniformisés. Ce que montre une mosaïques de poses différentes de l’artiste sur fond blanc. La lumière changeante et la direction donnée au corps du sujet portraituré par le photographe fait qu’on lui donne de 25 à 50 ans selon l’image réalisée.

Selon la Polonaise, les photographes de studio ont dû passer en un temps record de la photo argentique avec pellicule à la photo numérique pour s’adapter au marché virtualisé sur internet. Le travail «s’est concentré sur Mokotow, le quartier central et plus étendu district de la capitale polonaise, où je réside. De nombreux studios se trouvent à proximité immédiate de mon foyer et j’ai remarqué que certains fermaient boutique», relève la photographe. Il s’agissait ainsi de l’ultime moment pour produire une sorte d’inventaire de ces lieux. «C’est la présence de la photographie comme foyer de production et diffusion dans l’architecture urbaine qui m’a d’abord intéressée. Il y a la volonté de regarder la photo comme une fenêtre, la manière dont une réalité est architecturée. Le projet est ainsi une façon de documenter les vitrines ou devantures des studios photo.»

Attraction perturbante

Comme souvent chez l’artiste plasticien Erwin Wurm, Narrow House aborde l’intime, l’architecture reconfigurée, «le volume, les trois dimensions, le rapport à l’espace, l’enveloppe» et le politique. L’humour dissonant et malaisant de Wurm débouche sur une version compressée et étirée de son habitat d’enfance. Ce, sous la forme d’une maquette à l’échelle 1:1 d’un pavillon préfabriqué typique des banlieues autrichiennes des années 1960. Pour le plasticien, cette création, absurde et révélatrice, représente une réaction à la croissance portée comme dogme et la dictature de l’économique des années 50-60, dans une société fort partiellement dénazifiée. S’insinuant dans chaque pièce, le visiteur s’achoppe à une image déformée d’un univers familier. «C’est une expérience physique et visuelle inhabituelle à vivre pour le spectateur qui entre dans cette demeure maquette», commente Stefano Stoll, directeur du Festival. Elle évoque moins l’anamorphose ou la déformation réversible d’une image à l’aide d’un système optique que « la compression des perspectives. Des enfants de 9-10 l’ayant parcourue s’en souviendront dans dix ans, rappelant alors à leurs parents son lit et ses toilettes écrasées. La photo y est présente par une quinzaines d’images vernaculaires de la famille de l’artiste et de lui enfant jouant avec sa grand-mère, dont certaines sont intentionnellement difformes.»

Erwin Wurm a donc compacté la maison de son enfance sur un mètre de large, le minimum physique possible. La demeure de ses parents incarne ainsi une «culture oppressante» pour l’artiste. Il a aussi été fasciné par le fait que Le Corbusier construisit pour ses parents à Vevey, une petite maison conçue comme «machine à habiter». Il y intervient in situ avec ses One Minute Sculptures, qui naviguent entre le geste quotidien et la parodie d’une fonction qu’il a perdue, l’art et le banal, le vulnérable et l’éphémère. Il reproduit ainsi le mobilier de l’architecte suisse pour que le visiteur puisse y glisser tête ou jambes, devenant à son tour sculpture vivante.

Féminité manifeste

«Faire de l’art, c’est truquer le réel», affirme Annette Messager née en 1943. Depuis ses débuts dans les années 1970, elle «essaie de voir s’il y a quelque chose à montrer» dans le domaine de l’art et met en scène de façon ironique la condition féminine. «Je suis la colporteuse de chimères, la colporteuse de rêves simiesques, des délires arachnéens. Je suis la truqueuse, la truqueuse des photos repeintes, des agrandissements d’images, des lentilles déformantes. Je suis la menteuse, la messagère des fausses prémonitions, des amours douteux, des souvenirs suspects, la dompteuse des araignées de papier», déclarait l’artiste en 1989.

Au Musée Jenisch, l’oeil découvre, reposant notamment sur un verre à l’horizontale, les photos des albums de la série Annette Messager truqueuse (1975). Sur sa peau nue sont dessinés de façon art brut ou graffiti de latrines, des fragments anatomiques dont sexes masculins et pilosité pubienne métamorphosée en barbe. «Il existe une volonté de jouer, non sans ambivalence, avec le corps féminin dans son opposition au masculin. Mais aussi une envie de mettre à nu ironiquement la domination masculine. Et une manière singulière de revisiter le genre du journal intime souvent tenu par une femme», commente la jeune Elodie, qui veille sur la salle d’exposition. Soucieuse de ne pas se laisser cantonner à une étiquette purement féministe, Messager creuse avec une poésie surréaliste les concepts du corps de ses craintes à ses fantasmes; afin de malmener aussi les clichés et perturber les images ou idées de soi, de nos mythologies, rôles et représentations sociaux assignés