Les luttes de classe à Rome

Livre • Docteur en science politique (Université de Yale), auteur de nombreux ouvrages traduits dans des dizaines de langues, Michael Parenti signe un livre remarquable, présentant les événements des dernières décennies de la République romaine, du point de vue des classes populaires.

La mort de César», de Vincenzo Camuccini

Nul ne l’ignore: ce que l’on appelle la culture classique, la connaissance des grands auteurs de l’antiquité gréco-romaine, est, depuis la Renaissance au moins, une partie essentielle de la culture générale. Or, il n’est pas inutile de souligner que les textes qui nous sont parvenus de cette époque sont tous, ou presque, de la plume d’intellectuels issus des classes possédantes des sociétés grecque et romaine. Il n’est pas étonnant que la vision du monde de l’oligarchie antique ait dès lors été reçue avec sympathie par les intellectuels issus de la bourgeoisie. Les intérêts des classes dominantes à travers les âges – et les idéologies les exprimant – présentent en effet d’importantes similitudes structurelles.

Sous couvert de culture classique, l’idéologie des classes dominantes du passé pénètre insidieusement dans le sens commun. Etudier cette période de l’histoire, qui est d’une actualité politique plus brûlante qu’il n’y paraît, n’est pas d’une importance négligeable. C’est le défi qu’a relevé Michael Parenti, présentant l’histoire des dernières années de la République romaine (courant de 509 av. J.-C. à 27 av. J.-C.), du point de vue des classes populaires romaines.

Historiographie traditionnelle et actualité politique

Selon une historiographie populaire, Jules César fut assassiné aux Ides de mars en 44 av. J.-C. par un groupe de sénateurs, qui prétendaient défendre la République, la démocratie, la Constitution, menacées par les prétentions monarchiques de César. Dans cette vision de l’histoire, Brutus, Cicéron, Caton, et autres figures clé du parti sénatorial conservateur, qui se nommait lui-même «les optimates» (les meilleurs), apparaissent invariablement comme des héros pleins d’abnégation et de vertu, menant un combat désintéressé pour la liberté. De son côté, la plèbe romaine est présentée comme une vile populace oisive, tournant ses sympathies au gré du vent, dénuée de toute morale, assoiffée uniquement de distribution de pain et des jeux sanglants! Ses tribuns les plus déterminés, ne passent souvent que pour des démagogues, des aventuriers sans scrupule ni principes.

César, les optimates et la plèbe

Comme le rappelle Michael Parenti, la République romaine n’avait rien d’une démocratie. Son sénat était une assemblée de notables, issus de l’oligarchie. Ses magistrats, des aristocrates élus au suffrage censitaire. Le programme des optimates n’a jamais été de défendre la Constitution (non-écrite) de la République, qu’ils n’ont jamais hésité à transgresser lorsqu’il en allait de leur intérêt, mais de protéger leurs prérogatives, et de piller les provinces conquises ou leurs concitoyens. Ainsi, les dernières décennies de la République sont fortement marquées par le combat désespéré des classes populaires contre la tyrannie des optimates, qui n’ont jamais hésité à faire assassiner tous les tribuns de la plèbe montrant de la détermination à lutter pour des réformes, même très modérées.

Les sénateurs romains n’ont pas assassiné Jules César parce qu’il aspirait à la monarchie. Précédemment, ils ont bien soutenu le dictateur Sylla, parce qu’il servait leurs intérêts, et ont nommé Pompée comme consul, sans co-consul. L’aristocrate César devient intolérable dès lors qu’il se transforme en dirigeant populaire, s’appuyant sur la plèbe et prétend utiliser son titre de dictateur pour imposer un programme de réformes visant à une minimale distribution des richesses (réforme agraire, réduction des dettes, travaux publics), contribuant ainsi à la toute-puissance de l’oligarchie sénatoriale. Son programme, qui préserve pourtant l’essentiel des privilèges de l’oligarchie, n’est pas acceptable pour les optimates.

Une vingtaine d’années après la mort de César, la même élite sénatoriale confiera une monarchie de fait, quoique ne disant pas son nom, à Octave, fils adoptif de César, qui devient l’empereur Auguste. Celui-ci n’aura de cesse de perfectionner la superstructure étatique, à son profit, comme à celui de l’oligarchie. L’abandon de la sacro-sainte «liberté» républicaine, au profit d’une monarchie absolue, permettra à l’élite romaine de briser toutes les aspirations démocratiques de la plèbe et de perpétuer sa domination pour encore cinq siècles.

«Quand les meilleures pages de l’histoire seront enfin écrites, elles ne le seront pas par des princes, des présidents, des premiers ministres ou des experts, ni même par des professeurs, mais par le peuple lui-même. Malgré tous ses défauts et ses insuffisances, le peuple est tout ce que nous avons. C’est qu’en effet, le peuple, c’est nous», explique, en conclusions Michael Parenti, dans son livre que nous ne pouvons que vous conseiller.

 

Michael Parenti, L’assassinat de Jules César, une histoire populaire de l’ancienne Rome, Editions Delga, Collection Histoire, Paris, 2017, 217 pages.