Mai 68 revisité par Chantal Montellier

Livre • La Française Chantal Montellier, dessinatrice, auteure de bande dessinée et écrivaine, nous offre en cet automne du cinquantenaire des révoltes de 68, dix nouvelles accompagnées de 32 affiches, revisitées à la lumière de l’actualité 2018. Pour réveiller nos envies de révolte…

Le cahier central de l’ouvrage propose une relecture d’affiches de mai 68. (Chantal Montellier)

Chantal Montellier est une des pionnières et des rares figures féminines du 9e art. Au début des années 70, elle se retrouve seule femme à exercer dans la profession. Elle a publié une trentaine d’albums comme scénariste et dessinatrice. Artiste engagée, elle en paye le prix fort: son style et son discours, jugé trop radicaux dérangent, et elle est écartée par les éditeurs et les diffuseurs. Elle revient à la bande dessinée politique avec Les Damnés de Nanterre, publié en 2005 chez Denoël Graphic, et Tchernobyl Mon amour, publié en 2006 chez Actes Sud. Chantal Montellier est également l’auteure de nouvelles et de deux romans dont Les vies et les morts de Cléo Stirner, paru en 2017 aux éditions Goater.

Avec 68’ Art, Chantal Montellier propose de revisiter ce mois de mai 1968 au fil des dix nouvelles qui composent son livre. Si la plupart des textes empruntent leur titre à un slogan de mai, le livre se situe à l’opposé de la muséification de ce printemps millésimé. En ouverture, et pour donner le ton, Jouissons sans entraves nous emmène chez le docteur Dionnet, médecin psychiatre d’une maison d’arrêt pour y suivre une délicieuse histoire de revanche qui se joue entre gelées et terrines.

Les révoltes de 68 ne s’étant pas limitées aux événements du printemps parisien, vous partirez de l’autre côté de l’Atlantique, au Brésil d’abord avec De mai en mai et le sombre Brazil, Brazil, puis aux États-Unis pour Paris-Boston, qui résonne avec les brutalités policières d’aujourd’hui. Soyons cruels! conte l’histoire d’une vengeance, narration ciselée avec beaucoup de talent. Si les récits sont plutôt sombres, le recueil n’est pas dénué d’humour. En ces temps de triomphe de la marchandisation, La promenade du sémaphore permet d’imaginer quelques pistes pour se débarrasser des oppresseurs. Soixante-huit et demi brocarde les rencontres commémoratives entre anciens militants qui se sont bien éloignés de toute révolution.

Une subversion qui fait du bien

Une très belle nouvelle conclut le recueil. Avec son titre, L’Établi fait référence aux militants qui abandonnèrent leurs études pour rejoindre le prolétariat et travailler en usine, dans l’espoir de faire se lever la révolution. Nous y assistons à une soirée militante et littéraire dans une librairie parisienne. Les protagonistes s’y livrent à un bilan des révoltes, mais, au fil des discussions et débats, c’est une rencontre amoureuse qui se produit et cette rencontre ouvre sur de nouvelles révoltes.

Chantal Montellier est aussi une dessinatrice, et le cahier central de son livre propose une relecture d’affiches de ce «Mois de mai 1968». Elle nous les propose, en les détournant, afin de mieux refléter notre aujourd’hui . Ses trente-deux affiches «revisitées» mettent en lumière les trahisons et les oppressions actuelles. Macron et Dany le Rouge en prennent, au passage, pour leur grade. Jouissif à l’heure où les affiches originales sont devenues des «objets» de collection. Tant par ses dix nouvelles noires que par ses dessins 68’ Art apporte une part salutaire de subversion. Et dans ces temps de capitalisme triomphant, cela fait le plus grand bien!

 

Chantal Montellier, 68’ Art, Villejuif, éditions Helvétius 2018, 184 pages

Infos sur www.editionshelvetius.com