«Vouloir vivre en autarcie est une illusion»

Suisse • L’initiative de l’UDC «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», dite aussi «Pour l’autodétermination», sera soumise au peuple le 25 novembre prochain. Rencontre avec Melik Özden, directeur du CETIM (Centre Europe - Tiers-Monde) et responsable du programme Droits humains.

Les Suisses sont appelés à se prononcer sur une nouvelle initiative de l’UDC, qui demande que la Constitution fédérale soit placée au-dessus du droit international et prime sur celui-ci, sous réserve des règles impératives du droit international. Pour les opposants, et notamment l’Alliance de la société civile / Facteur de protection D, cette initiative chercherait en premier lieu à résilier la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui s’applique en Suisse depuis plus de quarante ans et qui garantit l’application des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale. Celle-ci garantit à chacun, et plus particulièrement aux minorités de la population, de faire appel à cette Convention, voire de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme si ses droits ne sont pas respectés.

Selon l’UDC, l’initiative dite «Pour l’autodétermination» aurait pour but de sauver la souveraineté et l’indépendance de la Suisse. Ces valeurs sont-elles vraiment en contradiction avec le droit international?

Melik Özden: Le droit international n’est pas incompatible avec la souveraineté. Certes, lorsqu’un État ratifie un traité international, il cède une parcelle de sa souveraineté. Les traités internationaux prévoient des mécanismes de surveillance auxquels les États doivent se soumettre. Par contre, en tout cas dans les pays démocratiques, la ratification d’un tel traité doit toujours être validée par le Parlement. Si celui-ci n’en veut pas, il peut le refuser. Si au contraire le Parlement l’accepte et qu’après un certain temps, le traité ne convient plus, il peut le dénoncer. Ainsi, le droit international permet d’avoir des règles communes et une surveillance mutuelle, mais rien n’est gravé dans le marbre. Cela dit, de nos jours, il est illusoire de vouloir vivre en autarcie, étant donné l’interdépendance des pays dans de nombreux domaines.

Pour les adversaires de l’initiative, celle-ci constituerait une attaque contre la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH). L’UDC prétend qu’il n’y a pas besoin de «juges étrangers» pour faire appliquer les droits humains, car ils sont inscrits dans la Constitution. Qui a raison?

Il y a beaucoup de choses à dire à ce sujet. Premièrement, les décisions des juges nationaux ne sont pas à l’abri d’erreurs et de biais politiques, ce qui peut parfois être corrigé par un regard extérieur. Deuxièmement, il faut se rappeler que contrairement à la majorité des États européens, la Suisse n’a pas de tribunal constitutionnel, ce qui signifie que le Parlement peut voter des lois qui vont à l’encontre de la Constitution. Il est donc intéressant d’avoir un mécanisme de surveillance extérieur. Enfin, le débat se focalise beaucoup sur la CEDH, mais n’oublions pas que le droit international est beaucoup plus vaste! Je pense par exemple aux normes sur le travail de l’Organisation international du travail (OIT) ou encore à des normes sur l’environnement, comme la Convention de Bâle sur les transferts de déchets dangereux. On ne trouve pas la plupart de ces normes dans la Constitution helvétique.

Selon l’UDC, les accords de libre-échange et le traité instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) seraient compatibles avec l’initiative. Le droit international est donc positif quand il protège les intérêts des sociétés transnationales (STN)?

C’est clair qu’il y a un double discours. L’OMC a un organe de règlement des différends, c’est-à-dire des «juges étrangers» qui sanctionnent tout ce qu’ils considèrent comme contraire au libre-échange, avec la possibilité de décider de sanctions économiques immédiates. L’UDC, qui prétend défendre la souveraineté et la liberté, devrait plutôt s’attaquer à l’OMC, qui a montré à de nombreuses reprises qu’elle se fichait royalement des législations nationales. De la même manière, les défenseurs de l’initiative parlent beaucoup de la CEDH, mais je ne crois pas qu’ils aient déjà dénoncé le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), cette instance supranationale, gérée par la Banque mondiale, devant laquelle les STN peuvent traîner des États qui entravent leurs intérêts économiques.

Contrairement à l’UDC, le CETIM pense que le droit international est un bon outil pour défendre les peuples et leurs droits. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets?

Nous avons mené une campagne qui vient d’aboutir sous la forme d’une déclaration de l’ONU sur les droits des paysan·ne·s. Ce nouvel instrument du droit international prévoit une meilleure protection des paysan·ne·s, tenant compte de leurs besoins spécifiques (la terre, les semences, l’accès aux ressources naturelles). Leur rôle dans la protection de l’environnement, de la biodiversité et contre le changement climatique sera aussi reconnu. L’adoption de cette déclaration contribuera à améliorer les conditions de vie dans les zones rurales de manière durable et à une échelle mondiale. Nous sommes également engagés de longue date en faveur de normes internationales contraignantes pour les STN. Si la souveraineté est remise en question de nos jours, c’est par les agissements de ces sociétés qui échappent à tout contrôle juridique et démocratique.

Paru dans le journal de Solidarités sans frontières.