L’adoption internationale sous la loupe

Festival • La présence de la réalisatrice Amandine Gay, initiatrice de la 1ère édition du «Mois des Adopté.e.s» a marqué le Festival «Les Créatives» qui, en partenariat avec le Spoutnik et la cinéaste, ont présenté un cycle de films consacré au thème de l’adoption. Ce dernier s’est achevé dimanche dernier à Genève.

Le film d’Amandine Gay «Ouvrir la Voix» fait intervenir pendant plus de deux heures vingt-cinq femmes afro-descendantes résidant en France et en Belgique. (Nathalie Saint-Pierre)

Sorti en DVD chez ARTE Editions en septembre, le film d’Amandine Gay Ouvrir La Voix a fait plus de 20 000 entrées en salle. Il a été projeté dans pas moins de huit pays. Rompant avec le paternalisme, le misérabilisme et l’exotisation, son documentaire fait intervenir pendant plus de deux heures vingt-cinq femmes afro-descendantes résidant en France et en Belgique. Il explore avec brio leurs différentes façons d’envisager la lutte pour l’égalité.

Les entretiens illustrent la pluralité, la complexité et la richesse des identités féminines dans des communautés noires de femmes d’origine africaine et antillaise. Ils évoquent les discriminations subies, en particulier à l’école et au travail, du fait de la couleur de peau ainsi que la persistance de représentations et fantasmes, en particulier touchant au corps et à la sexualité des femmes noires. Privilégiant des plans rapprochés sur les visages et englobant des témoignages rarement relayés dans la sphère publique, notamment de femmes noires homosexuelles, le film a été largement salué par la critique. Il alimente la pensée féministe et intersectionnelle car il permet d’explorer de nouvelles pistes d’émancipation collective.

Née sous X d’un père francais et d’une mère marocaine le 16 octobre 1984, la réalisatrice a été confrontée aux enjeux liés à la complexité de son identité de femme noire et adoptée. Cette double condition lui a valu de devoir supporter des attitudes blessantes comme enfant, adolescente et jeune adulte. Son prochain documentaire, Un enfant à soi, en cours d’élaboration, aura lui aussi une vocation critique et pédagogique. Il proposera une réappropriation du récit de l’adoption internationale en faisant résonner les voix des personnes concernées en premier lieu: les adopté.e.s, aujourd’hui adultes.

Une question politique

Développée à partir de 1945, l’adoption internationale a déjà une relativement longue histoire derrière elle. La France accuse un retard sur les pays anglo-saxons et sur le Québec. Les personnes adoptées adultes, souvent encore qualifiées d’ «enfants adoptés», s’y sentent plus souvent infantilisés. «Etroitement liée à l’histoire des rapports – et des inégalités – Nord-Sud, l’adoption est une question profondément politique», explique Amandine Gay. En suivant l’exemple de la pratique qui prévaut aujourd’hui au Québec et qu’elle a eu l’opportunité d’étudier en profondeur dans le cadre d’une maîtrise en sociologie récemment obtenue à l’Université du Québec à Montréal, la réalisatrice préconise d’envisager l’adoption sous l’angle de la séparation plutôt que de l’abandon. «En France, des milliers de personnes veulent connaître leur origine. Elles s’organisent et se mobilisent, notamment en échangeant entre elles des informations par le biais des réseaux sociaux. Cependant, le financement des institutions ne suit pas encore. L’allocation de ressources n’est pas satisfaisante. Il faudrait passer de l’appui et de l’orientation dispensés aux candidats à l’adoption, qui est aujourd’hui la norme, à un soutien aux adolescents et adultes adoptés, mieux tenir compte de leurs besoins, par exemple les voyages dans leur pays d’origine et le remboursement des soins de santé psychologiques», souligne-t-elle.

Pour Amandine Gay, l’accouchement sous le secret constitue un déni de droit pour les personnes adoptées et ne donne un pouvoir de décision qu’aux mères biologiques. Les pères biologiques devraient aussi être impliqués dans les procédures d’abandon/séparation. «Il y a typiquement plusieurs grands moments au cours de la vie durant lesquels les personnes adoptées s’interrogent: pendant l’adolescence, à la naissance de leurs enfants, à la mort de leurs parents adoptifs et pendant la vieillesse. Il faut aussi distinguer ce qui relève de la recherche des origines au sens culturel (l’intérêt et l’attrait pour l’histoire et la langue du pays d’origine, la nourriture, etc) et ce qui concerne plus spécifiquement la question des retrouvailles avec les parents biologiques. Les deux besoins ne vont pas toujours de pair et ne s’expriment pas forcément de la même façon».

L’importance des archives

Les personnes adoptées entretiennent la plupart du temps un rapport particulier à l’histoire et aux archives. Produit par CG Cinéma, Bras de Fer Production (sa société) et Echo Media et réalisé par la même équipe qu’ Ouvrir La Voix, Un enfant à soi privilégiera ainsi un usage extensif des archives, à la fois institutionnelles et privées. Le film sera entièrement constitué d’images d’archives, du son des archives et des entretiens menés avec les personnes adoptées. Les archives familiales représentent la mémoire de l’adoption telle qu’elle est construite par l’entourage des personnes adoptées. Elles permettent de saisir concrètement les notions de fragments de mémoires et/ou de vies fragmentées – en particulier pour les personnages du documentaire qui disposent aussi des archives de leur vie d’avant l’adoption. «Le montage des propos des personnages, mis en résonance avec les archives institutionnelles et les archives familiales, permettra de créer une narration politique sur l’adoption internationale centrée autour des récits de vie de personnes adoptées».

L’adoption au cinéma et dans les arts

S’inspirant d’autres manifestations déjà organisées au Royaume Uni, en Belgique et en France, Amandine Gay a organisé avec le cinéma Spoutnik, et en collaboration avec le Collectif Outrage, la projection d’une série de films sur l’adoption et une table ronde intitulée: «La parentalité est politique». Le public genevois a ainsi pu découvrir plusieurs œuvres cinématographiques évoquant le questionnement et le vécu des personnes adoptées durant le festival Les Créatives. On peut signaler Une vie toute neuve d’Ounie Lecomte et Secret and Lies de Mike Leigh, deux œuvres bouleversantes, à la fois par la finesse du scénario, l’intelligence des dialogues et la qualité de l’interprétation. «L’intérêt d’initiatives comme ce cycle de films est qu’elles sont portées par les personnes adoptées elles-mêmes», souligne Daria Michel Scotti, psychologue à Espace A, une association qui soutient les personnes concernées par l’adoption et l’accueil familial et encourage le dialogue sur les questions de parenté, de parentalité et de filiation. «Tout comme l’écriture et les arts plastiques, le cinéma (documentaire ou de fiction), représente un formidable outil de médiation pour les personnes adoptées et leur entourage. Nous pouvons constater que la créativité artistique est particulièrement développée au sein de cette population». Le travail d’Amandine Gay et le dialogue organisé à Genève dans le cadre des Créatives auront permis de poser un regard critique sur les déterminants sociaux et politiques de l’adoption internationale et d’explorer leur impact sur les relations affectives et la construction identitaire.