Comment s’intégrer sans droit au travail?

Suisse • IGA SOS Racisme et Solidarité sans frontières tirent la sonnette d’alarme: la situation des personnes à l’aide d’urgence n’est plus supportable. Les associations demandent la fin d’un régime qui viole les droits fondamentaux des requérants d’asile déboutés.

«Normalement, je ne raconte pas mon histoire, mais je suis venu aujourd’hui parce que je ne peux plus supporter notre situation, je suis brisé». David* parle parfaitement l’allemand. Il vit dans le centre d’Oberbuchsiten (SO) depuis novembre 2015 avec sa femme et ses deux enfants. Ils partagent leur appartement de quatre pièces avec une famille éthiopienne de quatre personnes. «Ma femme est gravement malade, elle a déjà fait plusieurs tentatives de suicide. Et dans notre appartement, nous sommes trop nombreux, il y a tout le temps du bruit et elle ne peut pas récupérer.» David est l’un des dix-sept requérants d’asile qui ont fait le déplacement à Berne mercredi 6 février pour témoigner des conditions de vie des personnes à l’aide d’urgence. Ils étaient soutenus par l’association soleuroise IGA SOS Racisme et Solidarité sans frontières.

Dans le canton de Soleure, les conditions de vie des requérants d’asile déboutés ont suscité de nombreuses interrogations suite au récent incendie qui a coûté la vie à sept d’entre eux. Face aux critiques, les autorités cantonales ont réagi en mobilisant les médias locaux qui, en l’espace de cinq jours, ont diffusé deux reportages sur le centre d’Oberbuchsiten. «Des reportages trompeurs», dénonce Françoise Kopf, d’IGA SOS Racisme. «D’une part, ils ne montrent que la partie rénovée du bâtiment où sont placés les mineurs non accompagnés». Par ailleurs, l’activiste accuse les autorités soleuroises de donner de fausses informations. «La directrice cantonale du service social, Claudia Hänzi prétend que les requérants ne sont hébergés dans ce centre que pour une courte durée, alors que les personnes que nous connaissons y vivent depuis des années».

Des forfaits qui ne couvrent pas les besoins

Pour Heiner Busch de Solidarité sans frontières, «en plus de la promiscuité et de l’absence de sphère privée, d’un accès aux soins pas toujours assuré et de chicaneries administratives humiliantes, un des problèmes centraux du régime d’aide d’urgence est le forfait dérisoire alloué aux personnes pour leur entretien». La somme varie selon les cantons. Dans celui de Soleure, elle est de neuf francs par jour pour une personne seule et de sept francs pour les membres d’une famille. Elle inclut tous les besoins de base, sauf le logement et les soins: nourriture, transport, vêtement, langes pour bébés, matériel scolaire pour les enfants, objets de toilettes, etc. Dans un récent communiqué de la Conférence suisse des institutions d’action sociale à propos de l’aide sociale, on pouvait lire qu’en Suisse de telles sommes «ne permettent pas de se nourrir suffisamment et sainement». Les personnes à l’aide d’urgence se tournent alors vers les repas organisés depuis des années par des bénévoles, mais leurs finances sont insuffisantes pour couvrir les frais de transport jusqu’au lieu du repas. Depuis le centre de Balmberg par exemple, le trajet aller-retour coûte quinze francs. «On doit trouver de l’argent pour leur payer le transport, mais on doit parfois refuser des gens, car nous n’avons parfois tout simplement plus les moyens de payer un billet de bus supplémentaire», confie Françoise Kopf.

Un régime vieux de quinze ans

Cela fait plusieurs années que le Conseil fédéral a eu l’idée d’appliquer aux requérants d’asile déboutés cette «aide d’urgence» souligné par l’article 12 de la Constitution fédérale, qui prévoit que «quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé, assisté et recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine»

.Ce n’est pourtant pas dans une logique d’assistance que les autorités fédérales ont décidé de remplacer l’aide sociale par l’aide d’urgence pour les requérants d’asile déboutés, mais bien plutôt pour rendre insupportable la vie des personnes considérées comme indésirables, de manière à ce qu’elles quittent le territoire. La mise à l’aide d’urgence des personnes ayant reçu une décision de non-entrée en matière (NEM) était prévue en 2003, dans le cadre du programme fédéral d’allégement budgétaire. Il s’agissait d’une mesure d’économie parmi d’autres, visant à «réduire le nombre de requérants d’asile séjournant en Suisse». Elle est introduite en 2004, puis est étendue en 2008 à tous les requérants d’asile déboutés.

Depuis, si certaines personnes disparaissent, fuyant cette situation de misère et d’avilissement (les mots sont du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Alvaro Gil Robles), d’autres y restent plongées de longues années, faute d’alternative. C’est le cas de Mamie*, qui vit dans le centre d’Oberbuchsiten depuis dix ans, et de son amie Chantal*, à l’aide d’urgence depuis onze ans. Les deux femmes ne supportent plus cette précarité et absence de perspective. «Le canton a refusé ma demande de régularisation parce que je n’étais pas assez intégrée,» explique Mamie. «Mais comment puis-je m’intégrer si je n’ai pas le droit de travailler et pas les moyens de suivre des cours d’allemand?»

Pour une suppression du régime d’aide d’urgence

Pour l’avocat Alexandre Mwanza, le traitement des requérants d’asile mis à l’aide d’urgence est incompatible avec la Constitution fédérale et le droit international. «L’ampleur des dégâts humains est considérable», affirme-t-il. «Les requérants d’asile à l’aide d’urgence se trouvent dans une zone sinistrée, une enclave où les principes qui fondent un État de droit ne sont plus valables». IGA SOS Racisme et Solidarité sans frontières abondent dans ce sens. Pour les deux associations, ce régime doit être purement et simplement aboli. Les personnes devraient recevoir de quoi vivre dignement – peu importe leur statut – et la régularisation de celles qui sont en Suisse depuis plusieurs années devrait être facilitée. «Il est urgent d’agir pour que nous ayons un espoir de nous en sortir un jour», conclut David.

*Par crainte de représailles de la part de leur canton, les personnes qui ont témoigné ont souhaité utiliser des prénoms d’emprunt.