Rebelles!

La chronique féministe • Pour une fois, je vais parler de quelque chose de drôle, au lieu des horreurs quotidiennes qui nous pourrissent la vie.

Avec "Rebelles", les femmes ne sont pas pour une fois les victimes, malgré quelques scènes de violence, mais celles qui mènent l’action. (DR)

Pour une fois, je vais parler de quelque chose de drôle, au lieu des horreurs quotidiennes qui nous pourrissent la vie.

Du film Rebelles, une comédie française réalisée par Allan Mauduit, 2019, avec Yolande Moreau (Nadine), Cécile de France (Sandra), Audrey Lamy (Marilyn). J’ai beaucoup ri, je suis sortie de la séance avec un sourire qui faisait le tour de la tête, je me marrais encore en rentrant. J’ai tellement apprécié ce film que je suis allée le revoir avec une amie, pour partager le plaisir.

Puis je me suis demandée pourquoi ce film rabelaisien, qui tient du western et du film de gangsters, m’avait à ce point ravie. Pour une fois, les femmes ne sont pas des victimes, malgré quelques scènes de violence, mais celles qui mènent l’action. Pourtant, au départ, elles ne sont que des ouvrières qui travaillent dur pour presque rien dans une conserverie de poissons à Boulogne-sur-Mer. Rien ne les destinait à devenir des héroïnes sans foi ni loi. C’est le hasard qui leur tombe dessus. A partir du moment où elles trouvent un magot, des fantasmes de vie meilleure surgissent, et elles vont essayer de le garder, malgré les mafieux qui réclament leur pognon d’un côté, et le flic qui les surveille de l’autre. Il s’ensuit une série de situations toutes plus loufoques les unes que les autres. Nadine joue du fusil à pompe avec une aisance impressionnante, Sandra rend coup pour coup et récupère les revolvers qui passent à sa portée, quant à Marilyn, à la gouaille impayable, elle tient le volant comme Fangio. Un sacré trio.

Personnellement, je regarde volontiers des films d’action, comme les James Bond avant Daniel Craig ; RED (Retired and Extremely Dangerous), film américain de Robert Schwentke, de 2010: une bande de retraités reprend joyeusement du service, avec Bruce Willis, Morgan Freeman et la somptueuse Helen Mirren; les «missions impossibles» de Tom Cruise; la série télévisée Le transporteur avec Chris Vance dans le rôle de Frank Martin, artiste du volant.

Depuis le début des James Bond, dont le premier, Dr No, est sorti en 1962, avec la plantureuse Ursula Andress, je me réjouis de suivre ses péripéties, ses courses-poursuites, surtout quand le héros fait bondir sa voiture par-dessus des camions, des étals ou des containers, ses combats, ses défis, ses victoires. Les vieux de RED m’enchantent par leur ingéniosité et leur humour, je trouve sympa de nous montrer des personnages sur le déclin, au lieu de jeunes éphèbes au corps de statue grecque. Je ne me lasse pas d’observer la façon dont Frank, le transporteur, conduit sa voiture et lutte contre une dizaine d’ennemis à la fois, regarde autour de lui, utilise toutes sortes d’objets trouvés sur place: tuyaux, barres, chaînes, tonneaux et autres pour les mettre hors d’état de nuire, les désarme un à un, utilise parfois un homme pour en assommer d’autres. Finalement, il se relève, seul au milieu d’un champ de ruines, s’époussette et, droit comme un «i», reprend le volant, avec, au pire, quelques égratignures. Moi, une seule baffe ou un coup de couteau à la cuisse me mettraient hors-jeu!

Il y a parfois des femmes dans ces films d’action. Comme Eve, la tireuse d’élite de RED, les acolytes féminines de Tom Cruise et, bien sûr, les «James Bond girls». Elles sont là pour le seconder, souvent avec talent. Certaines pourraient être ceinture noire de judo, d’aïkido ou de karaté. Elles voltigent dans les airs avant de porter leurs coups. Je pense notamment à la superbe Grace Jones dans Dangereusement vôtre de John Glen, 1985, avec Roger Moore. Ou à Octopussy, 1983, avec Maud Adams dans le rôle-titre et ses femmes gardes du corps. Mais dans ces films, même si les femmes jouent un rôle non négligeable et savent se battre comme des hommes, elles restent secondaires, en retrait par rapport du héros, autour duquel tout se joue. C’est encore pire dans la trilogie Ocean réalisée par Steven Soderbergh: rien que des mecs. La seule femme du casting n’est là que pour sa plastique.

Certes, le cinéma nous a livré des films avec des héroïnes, comme Thelma et Louise, de Ridley Scott, 1991, avec Susan Sarandon et Geena Davis, qui tuent un violeur, cavalent à travers les Etats-Unis et finissent par lancer leur voiture dans le vide; Nikita, 1990, avec Anne Parillaud; Le Cinquième élément, 1997, avec Milla Jovovich, Lucy, 2014, avec Scarlett Johansson, tous trois de Luc Besson, qui aime les femmes; Millénium, de Niels Arden Oplev, 2009, avec Noomi Rapace dans le rôle de Lisbeth Salander, la géniale informaticienne; Gravity, 2013, d’Alvonso Cuarón avec Sandra Bullock en astronaute; Erin Brockovich, seule contre tous, 2000, de Steven Soderbergh, avec Julia Roberts en enquêtrice qui gagne contre la Pacific Gas & Electric Company, d’après des faits réels; Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, 2001, de Jean-Pierre Jeunet avec Audrey Tautou, qui veut rendre les gens heureux; plusieurs films de Pedro Almodovar qui, lui aussi, aime les femmes et sait les filmer. Certains de François Ozon, comme Huit femmes, 2001, Potiche, 2010, avec Catherine Deneuve. La leçon de piano, 1993, de Jane Campion avec Holly Hunter. Première et unique femme, pour l’instant, à avoir obtenu la Palme d’or du Festival de Cannes (1993) et seule réalisatrice de cette liste.

Ce sont de belles et fortes héroïnes, qui s’imposent en bousculant les clichés. Mais Rebelles a ceci de particulier que ses héroïnes déjouent les obstacles avec l’assurance et la décontraction d’un James Bond, d’un Tom Cruise ou d’un Transporteur, tout en faisant des courses et en se débattant dans des problèmes de mari au chômage, d’éducation, de grossesse non désirée.

Ce qui m’énervait, quand j’étais petite et que je regardais un film comme Les trois mousquetaires, c’est que les femmes restaient passives au moment où leur héros se trouvait en difficulté. Moi, j’aurais saisi le premier objet venu, balai, casserole ou tisonnier, et j’aurais assommé l’ennemi.

Ici, le «test de Bechdel» est largement dépassé (au moins deux personnages féminins qui portent un nom, et parlent d’un autre sujet qu’un personnage masculin). Il y a trois femmes, qui ont un nom, un métier, des relations familiales et sociales. Elles sont intelligentes, elles causent, elles ont une énergie et un courage à déplacer des montagnes. L’action est omniprésente. Un régal. Si vous voulez boire un bol de rire et vous faire du bien, courez voir ces rebelles!