Les manifestations dans la rue, avec les femmes

La chronique féministe • Il souffle, depuis quelques semaines, un vent frais qui rappelle Mai 68...

Il souffle, depuis quelques semaines, un vent frais qui rappelle Mai 68…

En France, les Gilets jaunes font parler d’eux depuis le 16 novembre 2018. C’est la taxe carbone sur l’essence qui a été l’élément déclencheur. Au slogan «Il faut sauver la planète», ils répondent «Il faut manger». En effet, comme toujours, les mesures prises par le gouvernement touchent d’abord les salaires les plus modestes. Ils se réunissent partout en France chaque samedi, certains montent à Paris. Il s’ensuit malheureusement des débordements provoqués par des casseurs venus de différents pays, auxquels se joignent quelques Gilets jaunes, par imitation. Ce qui choque les citoyen-ne-s, dont la plupart, au début, les soutenaient.

Ce qu’on sait moins, c’est que le mouvement s’est répandu dans presque toute l’Europe, en Russie, en Turquie, au Proche-Orient, en Afrique du nord, du centre et du sud, en Amérique du Nord… Même en Suisse, le 5 janvier 2019, une cinquantaine de Gilets jaunes ont manifesté sur la place fédérale à Berne. Les revendications concernent également le prix de l’essence, mais aussi l’immigration, la mauvaise qualité des services publics, le manque de démocratie.

En France, l’ampleur du mouvement et la régularité des manifestations (le 20e samedi 6 avril) ont fait reculer le gouvernement. Macron a organisé un débat national censé rassembler les revendications et les propositions des Français. 1,5 million de fiches ont été saisies, triées par thème, synthétisées. Un historien relevait qu’en 1789, on avait recueilli 15 millions de propositions. Je me souviens d’un documentaire sur le sujet. Comme la plupart des paysans étaient illettrés, ils avaient fait des dessins… qui avaient fini à la poubelle. A la fin ne restaient que les revendications de ceux qui savaient écrire, soit les nobles, dont les problèmes étaient à des années-lumière de ceux des humbles. Ce mépris et cette surdité conduisirent à la Révolution française, qui décapita un grand nombre de ces nobles égoïstes. Qu’en sortira-t-il cette fois? Macron, dont on dit qu’il n’écoute personne, saura-t-il entendre les besoins du peuple français?

En Algérie, le peuple manifeste également pour la démocratie. Les Algériens sont descendus dans la rue le 22 février pour dire non à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Le 5 avril dernier était le septième vendredi de contestation populaire, qui a déjà obtenu le départ de leur président grabataire. Mais la pression ne faiblit pas: le peuple algérien veut la fin d’un système fermé et corrompu, il veut vivre dignement dans une Algérie démocratique.

Les femmes se sentent particulièrement concernées et décrient l’actuel code de la famille, adopté en 1984, année où il n’y avait que 4 femmes députées au sein de l’APN, par la voie de l’ordonnance présidentielle, pour éviter un blocage au Parlement. Cette version est une régression par rapport à la Constitution de 1976. Elle relègue la femme au statut de mineure, légalise la polygamie, qui concerne environ 1% de la population, et permet à l’homme, en cas de divorce, de conserver le domicile sans avoir à assurer l’entretien de sa famille. L’égalité des sexes n’est pas respectée.

Les associations féministes demandent l’abrogation du code. Pour la comédienne Nadia Kaci, coauteure de Laissées pour mortes. Le lynchage des femmes de Hassi Messaoud, le statut de «mineure à vie» des femmes est l’une des deux causes – avec le discours intégriste musulman – qui expliquent que ces cas de lynchage et autres violences aient pu se produire dans une relative impunité.

Partout, les femmes, plus que les hommes, sont soumises à la pauvreté. Dans toutes les révolutions, les femmes sont souvent les premières en ligne à se battre pour nourrir leur famille et pour la justice. Elles sont aussi celles dont les combats et les revendications sont les premières oubliées. Pour faire mentir l’adage, les femmes tunisiennes (qui ont été de toutes les mobilisations et de toutes les manifestations) commencent à s’organiser. Elles ont lancé une pétition qui demande que les réformes institutionnelles et politiques garantissent l’égalité des droits et des devoirs dans tous les domaines, notamment en ce qui concerne les droits de succession. Elles revendiquent la séparation du religieux et du politique.

Déjà, le 4 décembre, en France, le Collectif national pour le droit des Femmes avait appelé de ses vœux à une convergence des luttes avec les Gilets jaunes. «Les revendications des femmes sont importantes pour le succès de ce mouvement», peut-on lire dans leur communiqué. La proportion des femmes au sein du mouvement se situe autour de 45%, comme dans la plupart des mouvements sociaux. Ce sont majoritairement des «cols roses», dit la chercheuse Magali Della Sudda, c’est-à-dire des femmes qui prennent soin des autres. Elles sont là d’une part en tant que professionnelles (elles n’ont plus le temps de prendre soin des autres dans leur métier): d’autre part, elles doivent également prendre soin des autres à la maison, notamment les parents et les enfants. Magali Della Sudda constate que ce sont les femmes qui ravitaillent les gens des ronds-points.

«Les femmes sont plus rétives que les hommes à dégrader les biens. Sur les ronds-points, elles ont un style pacificateur. Elles préfèrent filtrer plutôt que bloquer. Elles veulent que le mouvement des Gilets jaunes soit pacifique. Le corps des hommes est «déployé dans l’espace», tandis que celui des femmes est un «corps rentré». Ainsi, les femmes ne vont pas au contact avec les CRS, mais cherchent à tisser les liens sociaux sur les ronds-points, à organiser la vie de la communauté.

Dénigrées par les politiques et sur les réseaux sociaux, les femmes Gilets jaunes souffrent d’une double illégitimité. Mais déjà se profilent à l’horizon de nouveaux espaces pour relégitimer leur parole. Elles improvisent des chorales sur les péages. Un foisonnement artistique qui redonne une visibilité aux femmes dans la lutte.

Etre considérées comme des adultes à part entière, ayant les mêmes droits et devoirs, et les mêmes possibilités que les hommes, c’est la revendication universelle des femmes. Non seulement dans les pays qui ont opprimé leur peuple sous la dictature, mais également dans ceux qui ont une longue tradition démocratique, comme en Europe, où l’égalité n’existe toujours pas dans les faits.