«L’extrême-droite a toujours existé, mais elle se canalisait dans le PP»

Espagne • Le Parti socialiste de Pedro Sanchez sort en tête des élections espagnoles, avec 28,7% des suffrages. La question se pose dorénavant de former une coalition de gouvernement. Secrétaire nationale de Lucha feminista et chercheuse à l’Université de Barcelone, Celeste Muñoz Martinez revient sur le scrutin et l’avenir de la péninsule.

Le Parti socialiste espagnol (PSOE) a remporté les élections législatives espagnoles de dimanche dernier, dans un contexte d’instabilité politique marqué par le défi indépendantiste catalan et l’irruption de l’extrême droite de Vox au parlement, une première depuis la fin de la dictature franquiste. Sans majorité absolue, Pedro Sanchez devra nouer des alliances pour former un gouvernement, et sera peut-être contraint de recourir au soutien des indépendantistes catalans. Celeste Muñoz Martinez, secrétaire nationale de «Lucha feminista», le groupement féministe du syndicat indépendantiste COS, actif dans les Pays catalans, les territoires de culture et de langue catalane, a accepté de commenter les résultats. Cette fille d’immigrés andalous, venus s’installer dans la banlieue de Barcelone dans le contexte de désindustrialisation du Sud de l’Espagne post-franquiste est également historienne et chercheuse à l’Université de Barcelone. Elle se présente sur les listes de la CUP pour la Ville de Barcelone dans le cadre des élections municipales du 26 mai prochain.

Le PSOE est sorti vainqueur des élections législatives, avec 29% des voix et 123 députés élus (contre 85 en 2016), mais devra nouer des alliances pour gouverner, la majorité absolue se situant à 176 députés…

Celeste Muñoz Martinez Alors que les sondages le donnaient perdant il y a dix mois, le PSOE a remporté ces élections, sans toutefois obtenir de majorité absolue. Le soutien de la coalition de gauche radicale Unidas Podemos, qui a obtenu 42 députés contre 67 en 2016, et des partis nationalistes basque (PNV) et valencien (Compromís), ne suffira toutefois pas à former un gouvernement. Si le PSOE veut nouer des alliances avec la gauche, il sera obligé de négocier avec les indépendantistes catalans, ce qu’il avait promis de ne pas faire durant toute sa campagne.

L’autre option est une alliance avec la droite libérale de Ciudadanos, qui est passé de 32 à 57 députés. Or, durant la campagne, les leaders des deux formations ont également répété qu’ils refuseraient de gouverner ensemble. Pour gouverner, Pedro Sanchez, le leader du PSOE, devra donc rompre l’une de ses deux promesses.

Pedro Sanchez est arrivé au gouvernement en 2018 suite à une motion de censure présentée au Congrès par les députés du groupe socialiste, renversant le président conservateur Mariano Rajoy (PP), dont le parti était accusé de corruption. Celle-ci a été acceptée grâce à l’appui des partis indépendantistes d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) et du Partit Demòcrata Europeu Català (PDeCAT). Après la répression orchestrée par le PP suite à l’organisation du référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017 en Catalogne, ces derniers ont choisi de changer de stratégie en vue de négocier une issue à la question territoriale. Or, les négociations ont été de mal en pis. Les indépendantistes demandaient en effet que le Ministère public retire les accusations de rébellion, émeute et détournement de fonds public, dont sont accusés 12 dirigeants catalans en lien avec l’organisation du référendum du 1er octobre 2017, et que le pouvoir organise un référendum d’autodétermination. Et ce sont des lignes rouges que le PSOE a affirmé qu’il ne franchirait pas.

Il est donc clair qu’ERC et Junts per Catalunya (JxCAT, ancien PDeCAT et candidats indépendants), qui ont obtenu respectivement 15 et 7 députés, pourraient être prêts à soutenir Pedro Sanchez, mais demanderont quelque chose en échange. La formation d’un gouvernement risque donc d’être lente et va nécessiter d’ardues négociations en amont.

Le parti d’extrême-droite Vox a fait son entrée au Parlement avec 24 députés, alors que cette force était marginale depuis la fin de la dictature franquiste en 1975. Les positions qu’il défend constituent-elles vraiment une nouveauté en Espagne?

Les gens ont longtemps pensé que contrairement à d’autres pays d’Europe, il n’y avait pas de percée de l’extrême droite en Espagne, ce qui est faux. Elle a toujours existé, même après la dictature de Francisco Franco, mais elle était canalisée au sein du Parti Populaire.

Avec l’émergence de Ciudadanos, on a assisté à une expression de la droite plus libérale sur les questions de société, mais avec un nationalisme espagnol beaucoup plus marqué. Les tendances exprimées par VOX, qui rassemblent un nationalisme exacerbé, le conservatisme du point de vue territorial, la xénophobie, l’antiféminisme radical, l’homophobie, etc, existaient au sein des deux autres formations de droite. Mais ce sont des discours qui sont aujourd’hui beaucoup plus visibles et décomplexés. Et trouvent un écho chez de nombreux Espagnols, puisqu’ils sont entrés au Parlement avec 24 députés, ce qui n’est pas rien!

Vox a par ailleurs radicalisé le discours de la droite traditionnelle, avec qui ils sont en compétition pour gagner les voix d’un électorat segmenté. Vox propose par exemple la suppression des régions autonomes et la centralisation du pouvoir, comme sous Franco, ce que le PP et Ciudadanos n’ont jamais osé mettre sur la table. Ce type de revendication radicalise le discours de toute la droite concernant la coexistence et l’autonomie des nations et des régions espagnoles.

Le Parti Populaire, dirigé par Pablo Casado, a connu quant à lui une débâcle historique, puisqu’il n’a remporté que 66 sièges au Parlement, contre 135 en 2016…

Oui, c’est vrai, mais d’un autre côté, il faut voir que le bloc de droite composé du PP et de Ciudadanos a remporté davantage de votes que le PSOE. La loi électorale espagnole (scrutin proportionnel, méthode d’Hondt ou attribution des sièges à la plus forte moyenne) favorise toutefois les partis majoritaires, et donc le PSOE et le bloc de gauche, au détriment d’une droite divisée. D’où les appels de Pedro Sanchez au vote utile en faveur du PSOE durant la campagne, notamment pour faire barrage à l’extrême droite. Mais dans les faits, en comparaison avec les élections de 2016, la droite a obtenu un demi-million de voix en plus, et la gauche un demi-million en moins…

Si Pedro Sanchez conclut des alliances avec les partis de gauche, il assure un «cordon sanitaire» autour de l’extrême droite durant la législature. Cependant, la situation risque d’être bien différente à l’issue des élections municipales du 26 mai prochain, lors desquelles la droite aura le loisir de former des gouvernements au niveau local, et qui risque de faire un très bon résultat…

Par ailleurs, si notre ennemi principal est sans conteste l’extrême droite, le PSOE aussi constitue un adversaire pour la classe ouvrière. Lorsqu’il a été au pouvoir, il n’a pas hésité à mettre en œuvre des politiques de droite, comme l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, les coupes dans les pensions, et a appuyé l’oligarchie.

La question de l’unité nationale, après le référendum d’octobre 2017 en Catalogne, et les poursuites judiciaires à l’encontre des séparatistes, ont monopolisé cette campagne. Quels ont été les résultats des élections en Catalogne?

Le parti indépendantiste Esquerra Republicana (la Gauche Républicaine de Catalogne, ERC), a remporté une victoire historique, plaçant 15 députés sur les 48 auxquels a droit la Catalogne. Soit plus du double que la deuxième force indépendantiste, la coalition de droite libérale Junts per Catalunya (JxCAT), qui en obtient 7. ERC est suivie par le parti socialiste catalan (PSC), qui remporte 12 députés.

Depuis la montée de la question indépendantiste en Catalogne en 2012, il est très difficile de prévoir l’issue des élections. Auparavant, les résultats tendaient à refléter une dualité. C’est-à-dire qu’en général, au niveau régional, c’est le parti de la droite libérale Convergencia Democrática de Cataluña, allié avec les démocrates chrétiens au sein de la coalition Convergència i Unió (CiU), qui remportait les élections, et le PSC au niveau national. La gauche radicale, avec la liste En Comú Podem-Guanyem el Canvi, place 7 députés, et arrive juste derrière le PSC.

Le PP a obtenu son pire résultat historique en Catalogne, avec un seul député élu. Son recul progressif remonte à 2012, à la faveur de la montée du parti nationaliste espagnol Ciudadanos, né en Catalogne. De même, Vox n’a obtenu qu’un seul député.

Les indépendantistes de la CUP (gauche radicale) ont choisi eux de ne pas se présenter, tandis que Poble Lliure (Peuple libre), l’une de leurs composantes, a participé aux élections au sein de la coalition Front Republica avec le parti pirate de Catalogne (aussi membre de la CUP) et le parti de gauche radical souverainiste catalan Som Alternativa. Aucun de leur candidat n’a été élu.

Le syndicat COS, en tant que composante de la CUP et donc de la gauche indépendantiste, privilégie une position d’absention active et critique vis-à-vis des élections. En effet, l’Etat espagnol n’acceptera jamais d’organiser un référendum d’auto-détermination en Catalogne. Tout ce qu’on peut obtenir, dans le cadre de négociations au niveau national, c’est un budget ou des compétences élargies.

Ce n’est pas le projet que nous portons, qui est celui d’une gauche anticapitaliste, qui vise un processus de transformation radicale via l’organisation de la classe ouvrière. Nous voulons rompre avec le système en place, et non pas simplement en changer le gouvernement. Pour en finir avec l’immobilisme au sein de l’Etat espagnol, nous privilégions la stratégie de la mobilisation permanente dans la rue, celle de l’organisation d’un syndicalisme de classe et de mouvements sociaux.