En route vers la 6e extinction avec la 5G?

Suisse • La grogne contre la 5G, réseau sans fil de cinquième génération, ne faiblit pas. Une manifestation nationale est prévue ce vendredi 10 mai à 18h30 à Berne

Louisa Diaz se décrit comme une «citoyenne lambda». Pour cette historienne de formation, enseignante dans le post-obligatoire et membre du comité de rédaction de la revue des Cèdres – qui traite de questions d’éthique et de théologie , le combat contre l’installation de la 5G en Suisse a débuté suite à la lecture d’un article dans l’Illustré. «J’ai lu une interview du docteur en biologie Daniel Favre, qui dressait des constats très alarmistes sur la 5G. Il disait que son déploiement revenait à mener des expériences sur le vivant. Il évoquait les conséquences négatives très concrètes des ondes émises par les réseaux de télécommunication sur la santé humaine ou sur les populations d’insectes, et en particulier les abeilles».

Le docteur Daniel Favre fait partie des 170 scientifiques issus de 37 pays, qui ont signé un appel international demandant à l’ONU, à l’OMS, à l’Union européenne, au Conseil de l’Europe et aux gouvernements de tous les pays de stopper le déploiement de la 5G pour des raisons sanitaires ainsi que de préservation de l’environnement. Les dizaines d’études citées apportent la preuve accablante des dommages causés par le rayonnement de radiofréquences à la santé humaine, comme les acouphènes, les pertes d’attention, les céphalées, les vertiges, les inflammations des yeux, la dépression, la tension nerveuse, la fatigue chronique ou encore les maladies infectieuses à répétition. Mais les atteintes touchent également divers végétaux, la faune et les animaux de laboratoire.

Au niveau national, la fédération des médecins suisses (FMH) s’oppose également à la demande des opérateurs d’augmenter la puissance des antennes en Suisse, en lien avec l’exploitation de la 5G.

En parallèle, une mobilisation inédite prend peu à peu. D’abord sur les réseaux sociaux, avec la création de groupes très actifs sur Facebook, puis avec la pétition adressée notamment à la Confédération de Marvin Grimm, un infirmier assistant (ASSC) vaudois de 21 ans, qui a récolté près de 60’000 signatures en deux mois.

L’avènement de la 5G génère donc des résistances, mais trop peu relayées dans les médias et pas suffisamment prises au sérieux par les autorités politiques au goût de Louisa Diaz. En réagissant à l’interview du docteur Daniel Favre, elle fait la connaissance de Tamlin Schibler Ulmann, avec qui elle décide, fin mars, d’organiser une première conférence sur le sujet à Yverdon, à laquelle assistent près de trois cents personnes. Mais pas si facile de trouver des experts qui assument de contester publiquement la version des opérateurs ou de certains offices de la Confédération. «Seuls les ingénieurs Pierre Dubochet et Olivier Bodenmann ont accepté de présenter leurs travaux. Nous avons pourtant contacté les différentes Universités et écoles d’ingénieurs romandes. Tout le monde a refusé, certains en admettant qu’ils craignaient pour leur recherche, voire leur poste».

«On ne nous demande pas notre accord»

Effectivement, Olivier Bodenmann, ingénieur électricien EPFL et expert en électrosmog, ne fait pas mystère de ses nombreuses réserves à l’encontre du passage à la 5G. Mais au fait, de quoi parle-t-on exactement? «Il s’agit de l’appellation des générations successives dans le domaine de la téléphonie mobile. Il y a d’abord eu les raccordements analogiques, suivis de la GSM (ou 2G), puis la 3G qui a permis l’accès à internet, et enfin la 4G, grâce à laquelle on a pu surfer plus vite».

La 5G, outre une connexion beaucoup plus rapide, aura des conséquences profondes sur notre manière de communiquer ainsi que sur l’organisation des sociétés, ce qui ne va pas sans poser de problème pour Olivier Bodenmann. «On nous dit qu’on va entrer dans une société complètement numérisée, où tout est automatisé et robotisé, sans nous demander notre accord».

Pour l’ingénieur, la 5G n’apportera pas de réelle plus-value pour l’utilisateur. «Je ne connais personne qui se plaigne de la lenteur de la 4G, qui est même plus rapide que la connexion que j’ai en fixe à la maison. Certes, l’utilisateur pourra visionner des vidéos ultra haute définition, mais sur un écran de quatre centimètres, l’œil ne le percevra même pas. Cela devient absurde».

Selon lui, les motivations qui sous-tendent l’exploitation de cette technologie sont à chercher ailleurs. «On veut relancer l’économie avec une technologie qui va provoquer l’achat de centaines de milliards d’objets connectés à l’échelle de la planète, dont on se passait très bien jusque-là. Cela va coûter très cher écologiquement, autant au niveau de la production que de la montagne de déchets qui seront générés. Sans parler des conditions de travail des ouvriers, parfois des enfants, qui produisent les matériaux rares nécessaires pour les composants électroniques».

Concernant les risques pour la santé, Olivier Bodenmann insiste tout d’abord sur le fait que les fréquences de la 5G sont différentes de celles de la 4G (même s’il est possible que certaines soient pareilles) et que celles-ci n’ont pas fait l’objet des tests scientifiques indépendants, qui soient pris en compte officiellement pour fixer les limites admissibles. En effet, la 5G du futur sera utilisée avec des gammes d’ondes de 28 à 64 GHz, soit des ondes dites millimétriques. Même si ce n’est pas pour tout de suite en Suisse, tous les experts admettent que les effets sur le corps humain sont largement inconnus. «La manière dont les données sont transmises va changer. L’effet nocif deces ondes vient du fait qu’il s’agit d’une pulsation à basse fréquence (ELF en anglais), qui entreen interaction avec l’organisme. Avec la 5G, il y aura davantage de données à transmettre, plus de transmission de paquets par seconde, et donc des effets délétères plus marqués».

Ensuite, il tient à rectifier une série de contre-vérités martelées par les opérateurs ou par l’Office fédéral de la communication. Comme le fait qu’il n’y aura pas d’augmentation exponentielle du rayonnement, alors que les opérateurs souhaitent que la limite de sécurité de la puissance des antennes, qui est inscrite dans l’ORNI, l’ordonnance sur le rayonnement non ionisant, soit augmentée à 20V/m. «Il y a une incohérence entre ce qu’ils demandent et le fait de dire qu’on ne sera pas plus irradiés. Les opérateurs nous disent que si on maintient les normes actuelles, on ne pourra pas déployer la 5G, tout en nous rassurant sur le fait que ça ne rayonnera pas plus. Or, s’il n’y avait pas d’augmentation de rayonnement, on pourrait garder les normes actuelles».

Dans le cadre de la récente révision de l’ORNI, une porte a été ouverte à la hausse de la limite à 20 V/m, via l’installation d’antennes adaptatives, qui forment des faisceaux dirigés sur l’utilisateur. En effet, celles-ci sautent constamment d’un point à l’autre, et rendent très difficile la mesure de l’intensité du rayonnement.

Comme l’explique Olivier Bodenmann, «La méthode de calcul a donc été adaptée, ce qui permet d’augmenter de manière considérable le rayonnement actuel. On parle d’un facteur entre 10 et 40». Pourtant, selon l’Office fédéral de la communication, ces antennes dynamiques permettraient de diminuer le rayonnement, puisque seul l’utilisateur du téléphone serait «arrosé». Pour Olivier Bodenmann, il n’en est rien. «C’est exactement le contraire. Non seulement tous ceux qui se trouvent entre l’antenne et l’utilisateur seront également irradiés, mais les nouvelles antennes 5G, dites « MIMO », utiliseront massivement des canaux de transmission multiples en parallèle,augmentant ainsi le rayonnement global».

Par ailleurs, les mesures actuelles datent d’une dizaine d’années, sans tenir compte de l’ensemble des effets négatifs produits par les ondes sur le corps humain. «Les calculs ont été réalisés sur une base exclusivement physique. On a mesuré l’échauffement que produit l’onde dans le corps, et on en a déduit le maximum qu’on peut supporter. Puis en Suisse on a divisé par dix pour les zones où vivent les humains. Ce principe de calcul néglige les effets biologiques qui démarrent bien avant, et qui ne sont pas liés à l’échauffement. Swisscom le reconnaît dans l’un de leurs brevets, que nous avons mis en ligne sur notre site « www.stop5g.ch». Ils admettent que les ondes électromagnétiques ont des effets non thermiques et peuvent provoquer des modifications d’ADN et mener au cancer. Donc multiplier par 10 ou 40 le rayonnement actuel, c’est de la folie furieuse».

Pour le chercheur, affirmer qu’aucune incidence négative sur la santé publique n’est connue en dessous des limites d’exposition de 61V/m, comme le font certains opérateurs, est un non sens. «C’est faux, mais en plus c’est criminel d’essayer de faire croire ça aux gens, s’emporte Olivier Bodenmann. Il y a eu des modifications d’ADN chez des riverains d’antenne à 1.3 V/m. S’ils font ça, les coûts sociaux vont être faramineux. Plein de gens vont devenir électrohypersensibles ou développer des pathologies, et on dira qu’il n’y a pas de lien avec les ondes. Il est difficile de ne pas entrer dans la révolte quant on entend des choses comme ça».

Grande manifestation nationale

Suite au succès de la conférence du 28 mars, Louisa Diaz et une dizaine d’autres citoyens ont décidé d’organiser un mouvement au niveau national et de former un petit comité. Depuis lors, des moratoires contre la 5G ont été adoptés par les cantons de Vaud, de Genève, du Jura et de Neuchâtel, alors que la Confédération les a jugés illégaux. Tous attendent le rapport de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) sur le sujet, prévu en juin, pour relancer leur opposition.

Quant au collectif «Stop 5G», il organise une grande manifestation nationale ce vendredi à Berne, de 18h30 à 20h30. «Nous refusons entre autres l’augmentation des valeurs limites de l’ORNI et demandons que les valeurs crêtes ne dépassent pas celles en vigueur avant la révision fédérale du 17 avril 2019, explique Louisa Diaz. Nous revendiquons également que la méthode de mesure ne soit pas modifiée, qu’il y ait une volonté politique de privilégier la fibre optique et la connexion filaire, un assainissement des zones sensibles (crèches, maisons de retraites, etc), la création de zones blanches et libres de rayonnement, ou encore l’encouragement à la recherche et au développement de technologies biocompatibles»