La résolution de l’ONU sur le viol comme arme de guerre vidée de sa substance

La chronique féministe • Mardi 23 avril, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté, par 13 voix et 2 abstentions (Russie et Chine), une résolution pour combattre le viol comme arme de guerre, mais en l’amputant de sa substance.

Mardi 23 avril, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté, par 13 voix et 2 abstentions (Russie et Chine), une résolution pour combattre le viol comme arme de guerre, mais en l’amputant de sa substance. En effet, les USA, en recul sur l’avortement et opposés à la Cour pénale internationale, ont réussi à faire retirer, lors des négociations, les mentions liées aux droits sexuels et reproductifs, donc au droit à l’avortement pour les femmes violées par leurs ennemis. Soutenus par la Russie et la Chine, ils avaient menacé le Conseil de sécurité d’utiliser leur droit de veto si lesdites mentions n’étaient pas retirées, ce qui aurait fait capoter des années de travail.

Quel sinistre manque de courage et d’empathie! Cela fait des décennies que l’ONU, les organisations humanitaires, les groupes féministes, les humanistes dénoncent le scandale du viol utilisé comme arme de guerre, des décennies que l’ONU tente de lutter contre cette grave atteinte aux droits humains, en l’occurrence à ceux des femmes, et voilà que le pays de Trump, macho parmi les machos, harceleur, misogyne, anéantit le sens même de la motion, pour plaire à son électorat réactionnaire, extrémiste, opposé à l’avortement.

Ce faisant, les USA rejoignent la liste noire des Etats où l’avortement est interdit ou soumis à des conditions drastiques, comme de nombreux pays d’Afrique, d’Amérique latine, l’Indonésie, les Philippines, la Syrie, l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan, qui ne sont pas des modèles de démocratie ni de respect des droits humains… L’actuel président des Etats-Unis n’en est pas à une trumperie près. Il s’est déjà opposé par le passé à l’emploi du terme «genre» dans les documents de l’ONU, le considérant comme une promotion déguisée des droits des personnes transgenres! Pour lui, le modèle est l’homme blanc, hétérosexuel, viril, porteur d’arme, descendant des cow-boys. Les autres humains, y compris les femmes, ne comptent pas à ses yeux. Pour un peu, il défendrait l’esclavage…

Cette résolution coquille vide représente un recul de 25 ans sur les droits des femmes. François Delattre, ambassadeur de France auprès du Conseil de sécurité, en visant les Etats-Unis, a pris position: «Nous sommes consternés par le fait qu’un Etat ait exigé le retrait de la référence à la santé sexuelle et reproductive, pourtant agréée dans de précédentes résolutions en 2009 et 2013. Il est intolérable et incompréhensible que le Conseil de sécurité soit incapable de reconnaître que les femmes et les filles qui ont subi des violences sexuelles en temps de conflit, et qui n’ont évidemment pas choisi d’être enceintes, aient le droit d’interrompre leur grossesse.»

Dans son texte d’origine, l’Allemagne voulait créer un groupe de travail formel – idée abandonnée -, pousser à la création d’un organisme international pour aider à faire juger les coupables et développer la protection des survivants, notamment les femmes violées tombant enceintes. Les négociations ont été ardues, selon des diplomates. Outre la menace d’un veto américain, la Russie et la Chine ont été jusqu’à proposer un texte concurrent à celui de l’Allemagne, sans aller jusqu’à demander un vote. Moscou et Pékin ont expliqué vouloir combattre les violences sexuelles dans les conflits, mais ont dénoncé «des interprétations laxistes» dans le texte allemand et des «manipulations» pour créer de nouvelles structures et «outrepasser» des mandats existants. Les arguties de certains représentants étatiques sont sidérantes.

En définitive, la triple opposition sino-américano-russe a conduit l’Allemagne à réduire son texte à la «portion congrue», selon un diplomate. «Les Américains ont pris en otage une négociation à partir de leur idéologie, c’est scandaleux», abonde un autre diplomate.

Interrogé sur ce recul, l’ambassadeur allemand à l’ONU, Christoph Heusgen, a reconnu que son pays aurait préféré «un langage fort». Le choix était de renvoyer le texte à plus tard ou d’accepter les suppressions demandées. Mais il se justifie en disant que deux personnalités ont opté pour la mise au vote: Denis Mukwege, le docteur qui répare les femmes violées, et Nadia Murad, ambassadrice de bonne volonté de l’ONU pour la dignité des victimes de la traite des êtres humains, tous deux prix Nobel de la paix 2018. Lors du débat, ils avaient pourtant clairement mis le Conseil de sécurité devant ses responsabilités, en réclamant des progrès substantiels en matière de justice et de protection des survivantes.

«Qu’attend la communauté internationale pour rendre justice aux victimes?», a interrogé Denis Mukwege, en exigeant l’établissement de tribunaux nationaux ou internationaux dédiés au jugement des coupables de violences sexuelles dans les conflits.

Avocate de victimes yézidies, Amal Clooney a aussi déploré la faiblesse de la réponse internationale. «Si nous n’agissons pas maintenant, il va être trop tard», a-t-elle averti, en rappelant la détention actuelle de milliers de combattants de l’Etat islamique (EI) qui pourraient être relâchés et n’auraient alors qu’à raser leur barbe pour se fondre dans la population en toute impunité.

Dans un communiqué, plusieurs pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède) ont «profondément regretté» l’absence de référence dans le texte adopté aux droits sexuels des victimes «en raison d’une menace de veto américain». «Les aides pour les survivantes, comme l’accès à la contraception d’urgence ou l’interruption de grossesse en toute sécurité, doivent être renforcées», a souligné l’ambassadrice norvégienne Mona Juul.

«Pas une seule personne n’a été traduite en justice pour esclavage sexuel», a relevé Nadia Murad en évoquant sa communauté yézidie détruite par le groupe djihadiste EI en Irak et en Syrie. «Nous prononçons des discours à l’ONU mais aucune mesure concrète ne suit» en matière de justice et «rien n’a été fait», a-t-elle insisté.

C’est comme pour le climat et la biodiversité. Lundi 6 mai, un rapport dénonce: 75% de l’environnement terrestre a été «gravement altéré» par les activités humaines, et 66% de l’environnement marin est touché. Un million des espèces animales et végétales (sur 8 millions recensées sur Terre) sont menacées d’extinction à court ou moyen terme. Mais Trump n’y croit pas! Et les politiciens qui se sentent concernés n’agissent pas non plus… Les femmes violées en temps de guerre revivent sans fin leur calvaire à travers l’enfant issu du viol; la Terre brûle, mais les chefs d’Etat et leurs représentants s’en lavent les mains, se comportant ainsi en criminels contre l’humanité.