Le Festival de Cannes et les femmes

La chronique féministe • Depuis l’affaire Weinstein en octobre 2017 et la déferlante #MeToo, il semble qu’on s’intéresse enfin aux femmes, à leur condition, à leur présence ou leur absence en divers lieux.

Greta Bellamacina dans le film "Hurt by Paradise" (DR)

Depuis l’affaire Weinstein en octobre 2017 et la déferlante #MeToo, il semble qu’on s’intéresse enfin aux femmes, à leur condition, à leur présence ou leur absence en divers lieux. Comme si les organisateurs, organisatrices de diverses manifestations, les journalistes qui relaient les événements voulaient compenser les injustices crasses faites aux femmes. Ou pour ne pas avoir l’air d’affreux machos.

On parle beaucoup de la future Grève des femmes du 14 juin en Suisse, même s’il ne s’agit pas d’une «grève», puisqu’elle ne concerne pas une relation employé-e-s / patronat. On y traite pourtant de travail et d’inégalités salariales qui durent, malgré les lois.

Partout, on cherche les femmes, on se préoccupe de leur avis, de leurs positions, de leurs actions. A ce propos, je trouve admirable la formule de l’émission «C dans l’air» sur France 5, créée en 2001, diffusée chaque jour, du lundi au samedi, entre 17h45 et 18h53, reprise vers 22h30. Elle est animée par une femme, Caroline Roux, du lundi au jeudi et par Axel de Tarlé le vendredi et le samedi. Pour le sujet politique du jour, on convie 4 invité-e-s, spécialistes, dont au moins une femme. Elles sont assez souvent deux. En plus, les intervenant-e-s s’écoutent, ne se coupent pas la parole. Cela change des émissions essentiellement masculines ou des débats houleux. Les autres chaînes devraient en prendre de la graine.

Depuis le 14 mai, cela n’aura échappé à personne que le cinéma est à l’honneur à Cannes, pour son 72e festival, qui durera jusqu’au 25 mai. Première présence féminine: la superbe affiche sur fond soleil, qui met en scène Agnès Varda, juchée sur les épaules d’un technicien et tenant sa précieuse caméra, au moment de la réalisation de A la pointe courte, son premier film, en 1955.

Le 12 mai 2018, 82 femmes avaient monté les marches du Palais des festivals, représentant le nombre de réalisatrices sélectionnées en compétition officielle depuis la création du Festival en 1946, contre 1688 hommes. Sur les 71 éditions, une seule femme a obtenu la Palme d’or: Jane Campion en 1993 pour La Leçon de piano.

A l’initiative de la plate-forme féministe, le Festival de Cannes a été le premier à signer, en mai 2018, une charte visant à atteindre la parité dans les instances dirigeantes (le comité et le jury), et à garantir la transparence dans les comités de sélections. La parité est réalisée cette année. On trouve facilement des femmes quand on les cherche!

La vendeuse internationale de films Delphyne Besse (Urban Distribution International), cofondatrice de «50/50 en 2020» dresse un premier bilan. «La charte signée en mai 2018 a été paraphée par près d’une cinquantaine de festivals, mais essentiellement en Europe du Nord et en Amérique du Nord. Ailleurs, et tout particulièrement en Asie (Corée, Japon, Chine…), il n’est pas imaginable qu’un tel texte soit adopté», explique-t-elle. «Par ailleurs, en septembre 2018, nous avons proposé la création d’un bonus pour la production d’un film, dès lors que son équipe technique est paritaire. L’ancienne ministre de la culture, Françoise Nyssen, avait repris l’idée et le bonus est entré en vigueur en janvier 2019», ajoute-t-elle.

Le bonus commencerait à produire son effet: «Depuis le début de l’année, 30% des films ont été réalisés par des femmes, et 25% par des équipes paritaires ou majoritairement féminines», a déclaré Frédérique Bredin, présidente du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), dans un communiqué, vendredi 17 mai. Depuis le début de l’année, 11 films sur les 42 agréés par le CNC (25%) ont bénéficié de ce bonus.

Samedi 18 et dimanche 19 mai, l’instance Media de l’Union européenne et sa responsable Lucia Recalde ont dévoilé à Cannes le dispositif «Women on the Move». Est annoncée, entre autres, une étude sur la situation des femmes critiques de cinéma. La marche vers l’égalité se fera avec les hommes et certains d’entre eux sont déjà investis. On trouve quelques réalisateurs connus en parcourant la liste des membres de «50/50 en 2020», tel Robin Campillo ou Laurent Cantet. Et le producteur Harold Valentin fait partie de son conseil d’administration.

Du côté des réalisatrices, on est encore loin de la parité, mais cette 72e édition est la plus féminine de son histoire: 13 femmes dans l’ensemble de la sélection, composée d’une cinquantaine de films, dont 20 en compétition, qui voient 4 femmes en lice pour la Palme, soit 5% (3 l’année dernière, 0 en 2012). La section Un certain regard est nettement plus égalitaire, avec 42% de réalisatrices.

Voici les 4 films de femmes qui concourent pour la Palme:
Sibyl de la Française Justine Triet, avec Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos, Gaspard Ulliel.
Little Joe de l’Autrichienne Jessica Hausner, avec Emily Beecham, Ben Whishaw, Lindsay Duncan.
Les Misérables (sur les banlieues) de la Française Ladj Ly, avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djibril Zonga.
Portrait de la jeune fille en feu de la Française Céline Sciamma, avec Adèle Haenel, Valeria Golino, Noémie Merlant.

Citons encore la réalisatrice Mati Diop, nièce du cinéaste sénégalais Djibril Diop Manbety, qui présentera son premier film de fiction, Atlantique, une histoire de migrants.

Le milieu du cinéma est encore conservateur et machiste. S’il y a la parité dans les écoles de cinéma, seulement 23% des films sont réalisés par les femmes, qui ont plus de mal à trouver l’argent nécessaire, et n’obtiennent jamais les mêmes budgets que leurs collègues masculins. En plus, leur salaire, de même que celui des actrices, est inférieur.

Comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’on a voulu empêcher la réalisatrice britannique Greta Bellamacina d’accéder au marché du film parce que son bébé n’était pas accrédité! «Je suis scandalisée par l’absurdité de cette attitude rétrograde», a déclaré Bellamacina dans un communiqué, alors qu’elle est à Cannes pour présenter son nouveau film, Hurt By Paradise. «Comme si les cinéastes femmes avaient besoin d’obstacles supplémentaires dans la course à l’égalité dans notre industrie!», a-t-elle ajouté. «Ironiquement, mon film parle d’une mère célibataire qui tente d’équilibrer sa vie d’écrivain. Elle est traitée d’une manière condescendante dans le film, mais pas aussi grossièrement que je l’ai été aujourd’hui en tant que maman au Festival!»

Bref, dans le monde du cinéma comme ailleurs, la parité n’est pas encore de mise. C’est pourquoi il est indispensable de dénoncer les inégalités, de lutter pour un meilleur équilibre, afin de construire un monde plus juste, comme nous le ferons le 14 juin.