Violences à la frontière extérieure de l’UE

Réfugiés • A la frontière bosno-croate, des réfugiés sont refoulés illégalement hors de l’Union européenne. Claude Braun, membre du Forum Civique Européen et de Solidarité sans frontières, était sur place avec une délégation pour les droits humains du 22 au 26 mars dernier.

Une famille de réfugiés à la frontière bosno-croate, où les conditions de vie sont très précaires et soumises à la violence des gardes-frontières.. (Marieke Braun)

Un récent reportage de SRF a révélé que la police croate refoule des réfugiés vers la Bosnie de manière illégale. Quelle est la situation à la frontière bosno-croate?

Claude Braun La situation des réfugiés dans cette pointe nord-occidentale de la Bosnie-Herzégovine est catastrophique. Suite à une décision du chancelier autrichien Sebastian Kurz et du premier ministre hongrois Viktor Orbán, la route des Balkans a été fermée début 2016. Les pays comme la Slovénie et la Croatie leur ont très vite emboîté le pas et ont ainsi contraint les réfugiés à chercher d’autres itinéraires pour rejoindre l’Europe de l’Ouest et du Nord. L’un d’entre eux passe par la Serbie, la Bosnie-Herzégovine puis la Croatie. Fin 2018 déjà, des rapports faisaient état du recours massif à la violence par les gardes-frontières à l’égard des réfugiés. Le but de notre délégation était d’enquêter sur ces abus et de faire la lumière sur les conditions de vie en lisière de cette frontière de l’Union européenne.

Comment les autorités bosniaques gèrent-elles l’arrivée des réfugiés?

Pendant longtemps, seulement quelques centaines de réfugiés internationaux arrivaient chaque année en Bosnie, qui est un petit pays pauvre. Soudain, après la fermeture de la route des Balkans, il a enregistré plus de 20’000 réfugiés, dont la grande majorité ne pouvait pas poursuivre leur voyage. Les autorités ont été et sont encore totalement dépassées. L’appareil étatique fonctionne tant bien que mal, la corruption est monnaie courante et la société civile est dans une situation difficile. Les autorités locales du canton de Una-Sana, où nous nous trouvions, ont par exemple décrété de manière unilatérale en février de cette année qu’avec 3’500 réfugiés enregistrés, le plafond était atteint et qu’il n’était plus question d’accepter de nouveaux arrivants.

Où vivent les réfugiés?

Certains vivent dans des camps gérés par l’Organisation internationale des migrations (OIM). L’État bosniaque est soulagé de pouvoir déléguer une partie de sa responsabilité. Nous en avons visité deux, celui de Sedra, pour les familles, et celui de Miral. Dans ce dernier, où vivent 700 hommes, l’ambiance est très tendue. Le traitement des graves problèmes de santé est insuffisant, la gale se propage, la nourriture est infecte et les conseils juridiques quasi inexistants. L’OIM se limite au minimum en termes d’hébergement et de nourriture. Mais bon nombre de réfugiés ne bénéficient même pas de cet accueil et sont sans-abris. Tous les jours, en fin d’après-midi, des colonnes de jeunes hommes avec sacs à dos et sacs de couchage marchent en direction de la frontière, que la plupart ne franchiront pas. Mais ils continuent à essayer, faute de perspective d’avenir en Bosnie.

Qu’en est-il des violences à la frontière?

L’organisation «borderviolence.eu» a documenté et publié plus de 500 cas de violence contre les réfugiés à la frontière avec la Croatie: violence extrême avec des matraques, mais aussi des méthodes moins visibles telles que le feu mis aux sacs de couchage et la confiscation des chaussures en hiver. Les migrants capturés sont forcés, hommes et femmes, de retourner en Bosnie. Les hommes musulmans sont humiliés devant leurs fils, et on arrache le voile des femmes. Un des événements tragiques a été la mort d’une fillette afghane de six ans renvoyée la nuit avec ses parents vers la Serbie et qui est passée sous un train de marchandises.

Quel est le rôle de l’Union européenne dans cette situation?

Ces atteintes flagrantes aux droits humains ne seraient pas possibles si elles n’étaient pas tolérées, voire couvertes par des autorités supérieures. La responsabilité relève de l’UE, qui ne cesse de verrouiller les frontières extérieures. La Croatie joue le rôle du chien de garde. La Suisse est coresponsable parce qu’elle soutient la politique des frontières menée par l’UE et parce qu’à ce jour elle n’a pris aucune initiative politique ou humanitaire pour soulager les réfugiés. Après tout ce que nous avons vu, nous ne pouvons tout simplement pas accepter cette position.

Concrètement, que devrait faire la Suisse selon vous?

Nous attendons des autorités suisses, en tant que pays dépositaire de la Convention des réfugiés, qu’elles interviennent auprès des autorités croates à Berne ou Zagreb pour faire part de sa désapprobation. L’agence de protection des frontières de l’Europe Frontex, dont la Suisse fait également partie, participe à la mise en place de cette répression. Des gardes-frontières suisses ont déjà participé à des opérations à la frontière bosno-croate. Nous exigeons que la Suisse ne participe plus à aucune activité de Frontex en Croatie. Enfin, concernant la situation des réfugiés bloqués en Bosnie, nous attendons de la Suisse qui entretient des relations privilégiées avec ce pays, qu’elle fasse un geste important en accueillant un contingent de réfugiés bloqués en ­Bosnie.